mardi 20 septembre 2016

Etre pèlerins

En 2010, je faisais partie du "Comité central" (devenu depuis "Comité directeur) de la Conférence des Eglises européennes (KEK), et du comité joint KEK-CCEE, qui réunissait une fois par an 7 représentants de la KEK et 7 du Conseil des conférences épiscopales d'Europe. Cette année-là, le comité joint s'était réuni à Istanbul et avait (déjà !) pour thème "les migrations". Je vous partage ici la méditation que j'avais faite alors, un matin pendant le temps de prière qui ouvrait et fermait chaque journée de travail.  

« Mon père était un araméen errant »
« Mon père était un araméen errant » (Deutéronome 26/1-11)... Bien que de tous temps les peuples aient eu besoin de se désigner des pères symboliques, comme les « pilgrim fathers » américains ou les révolutionnaires pour les français, celui-ci n'est pas des plus glorieux !
Bien sûr, c'est pédagogique, cela nous amène à dépasser le stade du « Mon papa, c'est le plus fort ! »...  Mais fallait-il vraiment choisir pour figure paternelle un vagabond ?

En fait de vagabond, nous sommes face à un homme en errance, et même en danger de mort, si l'on ausculte le terme hébreu qui peut se traduit par « errant » ou par « disparaissant » ; l'imminence de la mort pointe ; et nous passons du sourire à l'inquiétude : Abraham n'est pas seulement en errance, il est en danger de mort, de disparaître ! Abraham serait-il un demandeur d'asile ? Car la disparition, les disparitions forcées telles que les dénoncent les associations de défense des droits de l'homme, fait partie des risques encourus dans certains pays et qui poussent à l'exil, à demander asile.

Bien sûr, pour Abraham, il ne s'agit pas d'un risque de disparition forcée, mais bien de l'errance géographique dans ce qu'elle a de précarité, de fragilité, de menace, mais aussi de plénitude du présent, de solidarité, d'accueil et d'échanges, de confiance en Dieu. Dire « Mon père était un araméen errant », c'est accepter de se savoir étranger sur la terre ; c'est accepter d'être du Royaume de Dieu avant toute appartenance terrestre. Jésus lui-même a expérimenté cela.

Jésus, le premier des migrants
Jésus est le premier des voyageurs, de ceux qui errent, des migrants ; il est la figure type de l'errance :
  • D'abord par son expérience personnelle : l'Évangile de Matthieu nous rapporte que Joseph et Marie ont dû fuir pour l'Egypte avec Jésus nourrisson. Et s'il ne s'en rappelle pas forcément, cette expérience l'a forcément marqué par ce que ses parents lui en ont dit, par ce qu'ils lui ont transmis inconsciemment. Jésus a été lui-même un migrant dans sa prime enfance, un réfugié !
  • Mais au delà de cette expérience familiale, il y a tout le bagage culturel de son peuple, marqué très profondément par l'expérience de l'Exil. La Bible est remplie de ces récits de déplacements, choisis ou forcés ; de choix à faire : partir ou rester, garder ou abandonner,…Combien de récits montrent des personnes que Dieu relève et met en route. La Bible nous rappelle à chaque lecture que les patriarches étaient des nomades, des gens qui cheminaient géographiquement, et les récits nous montrent également qu'ils cheminaient beaucoup intérieurement. Dans la Bible, on voit aussi de nombreux récits de rencontre avec Dieu qui ont lieu au désert, or le désert est un endroit de passage, un endroit où l'on se retire temporairement, où l'on chemine, mais pas un endroit où l'on s'installe, pas un lieu de vie. La phrase rituelle « Mon père était un araméen errant » est finalement un bon résumé de toutes ces pérégrinations, un bon énoncé de l'identité du peuple Hébreu : toujours en marche pour rencontrer son Dieu... On pourrait même dire que la Bible est un grand « récit de voyage », si ce terme n'avait pas une connotation romantique ou touristique inappropriée ici.
  • Enfin, le ministère de Jésus est l'exemple même du nomadisme, avec cette phrase qui l'illustre bien : « Le Fils de l'homme n'a pas où poser sa tête ». Je crois même que depuis que j'étudie la Bible en grec, le mot que j'ai le plus traduit est le verbe ercomai, qu'on traduit par venir, arriver ou aller.  Jésus a choisi de vivre son ministère sous forme de cheminement, sous forme de traversée en tous sens de son propre pays, et même sous forme de montée vers Jérusalem si l'on en croit les évangiles synoptiques. Si j'osais une formule, je dirais que Jésus a vécu son ministère comme une sorte de pèlerinage du quotidien.

Mentalités de sédentaires
« Maître, je te suivrai partout où tu iras » (Mt 8/18-22) : cette phrase d'un scribe à Jésus me touche, parce que je suis dans la même dynamique que lui : moi aussi, je veux suivre Jésus ; moi aussi, je veux être dans la « suivance », comme l'exprime Dietrich Bonhoffer. Et moi aussi, dans toute la sincérité de ma foi, je suis prête à aller partout où lui pourrait aller...

Mais comme chez le scribe, notre « partout où tu iras » désigne souvent un aller simple vers une réinstallation. Quitter un confort pour en trouver un autre...Or la réponse de Jésus : « Le Fils de l'homme n'a pas où poser ma tête », indique deux choses : d'abord que Jésus ne se laisse pas enfermer dans un lieu, qu'il ne se limite pas aux espaces que nous lui délimitons dans nos géographies intérieures, qu'il ne se rencontre pas dans l'aboutissement, mais sur tout le chemin. Ensuite, cette réponse de Jésus nous informe qu'il n'y aura pas de réimplantation, que le suivre, c'est accepter d'être toujours en mouvement, d'être toujours en chemin. Nous ne mesurons pas ce que Jésus nous demande au moment où nous nous engageons à sa suite...

Le parallèle qu'il y a dans ce texte entre « je te suivrais partout où tu iras » et « permets-moi d'abord d'ensevelir mon père » est à cet égard intéressant : ces deux expressions à première vue contraires sont en fait similaires dans le fait que chacun a quelque chose à abandonner, à laisser derrière lui, que ce soit sa généalogie ou sa vision romantique du chemin...
Jésus-Christ nous invite à sortir de nos mentalités de sédentaires, il nous invite à retrouver un esprit de pèlerinage, avec tout ce que cela implique d'insécurité et de confiance en Dieu, d'incertitude et de disponibilité pour la rencontre... Cela peut paraître bizarre pour une protestante de parler d'esprit de pèlerinage, mais c'est le terme que j'ai trouvé de plus proche de l'idée d'un cheminement au long court que l'on vivrait devant Dieu. Nous sommes appelés à cheminer avec le Christ, là où nous sommes, là où nous en sommes. Et l'un des moyens de poursuivre ce cheminement, c'est d'accueillir ceux qui viennent à notre rencontre, de voir en eux un frère ou une sœur en humanité. Accueillir tout être humain errant comme s'il était mon père, ou celui que je sers...

Remis en marches, nous pouvons accueillir
Quand nous nous sommes remis en marche, c'est alors que nous pouvons aborder les migrants comme des frères et agir auprès des institutions de nos sociétés pour plus de justice et pour la reconnaissance des droits fondamentaux des migrants. Il n'y a pas de réponse simple à la question des migrations. Les migrations ne sont pas seulement une question ou une problématique, elles sont le quotidien de milliers de migrants ; les migrations, se sont d'abord des hommes, des femmes et de plus en plus d'enfants, qui fuient leur pays et parfois arrivent en Europe.

A la suite du Conseil des Eglises chrétiennes en France (CECEF, qui en 2010, à l"occasion de l'« Année des Migrations » avait édité un communiqué que l'on peut trouver ici et qui garde plus que jamais son actualité), je nous invite à trois choses, que vous pouvez faire vous-mêmes, seul ou en groupe, et en Eglise :

  1. S'informer. S'informer pour lutter contre les préjugés, pour bannir les soi-disant réponses simplistes à une question complexe.
  2. Se montrer solidaires et fraternels. Soutenir les associations qui œuvrent auprès des migrants et pratiquer l'hospitalité.
  3. S'exprimer. Aborder la question des migrations auprès des autorités locales, soutenir les choix de traitement humain des migrants, le respect de leurs droits, l'accès aux soins fondamentaux.
Pour nous guider sur ce chemin de réflexion et d'action auprès des migrants, pour nous guider aussi dans le travail que nous avons à faire en tant que communautés de foi pour accueillir toutes les personnes, de quelque origine qu'elles soient, je vous propose de commencer par laisser résonner en nous ces deux phrases : « Mon père était un araméen errant » et « Le Fils de l'homme n'a pas où poser sa tête ».

Remettons-nous en marche à la suite du Christ, pour mieux accueillir celles et ceux qui viennent à notre rencontre, si différents soient-ils, si étranges soient-ils, si indésirables soient-ils. Amen

Claire Sixt Gateuille

mercredi 15 juin 2016

Ensemble vers la vie : un cheminement à travers le texte

Déjà un mois que je n'ai pas alimenté ce blog, veuillez m'en excuser... Je pars dans huit jours en congé maternité, aussi le rythme de publication risque-t-il de s'espacer encore plus dans les prochains mois. 

Forum œcuménique, 7 juin 2016, maison du protestantisme (c) CSG
La semaine dernière, je suis intervenue au Forum œcuménique organisé par la fédération protestante de France, sur le texte Ensemble vers la vie (du Conseil œcuménique des Églises, sur la mission, sorti en 2012-2013, publié chez Olivétan en 2015). J'ai déjà présenté plusieurs fois ce texte, sur ce blog en juin 2014 et en mars 2016. Lors de ce forum, j'ai proposé un itinéraire - tout personnel - de lecture de ce texte d'un grand foisonnement. Je vais tenter de vous le retracer ici.

Missio Dei
Pour moi, ce texte offre une forme de "narration", il présente la présence et l'action de Dieu pour ce monde, dans lesquels tout projet missionnaire s'inscrit. Il offre donc une vision globale de la mission, mais pas une vision totalisante, car seul Dieu possède cette vision globale : la mission est avant tout Mission de Dieu (Missio Dei). Cette mission est - per se - globale, holistique : elle prend en compte le monde entier et toute la complexité du vivant, de même qu'elle prend en compte notre personne toute entière, notre vie dans toutes ses dimensions et toutes ses relations.

A mon avis, ce texte chemine de Dieu vers la mission et de la mission vers nous. Or quand nous parlons de mission, nous avons tendance nous avons tendance à aller de nous vers la mission, une mission qui serait à réaliser, à faire. Or c'est la mission qui vient à nous, le flot de la mission de Dieu qui nous invite à nous jeter à l'eau, à nous laisser porter par la dynamique missionnaire de Dieu, individuellement et en Église. 

Spiritualité transformatrice
(c) Joanna Lindén-Montes pour le COE
Si la mission est Mission de Dieu, nous ne pouvons pas nous contenter d'une vision cloisonnée, spécialisée de la mission, mise en œuvre par des spécialistes à qui nous la déléguerions. Il est important de penser les différentes formes de mission comme complémentaires. le foisonnement des formes de mission - tout comme le foisonnement de ce texte - commence par nous déstabiliser, mais il se révèle indispensable pour remettre Dieu aux commandes et abandonner notre désir de maîtrise. Ainsi, Dieu peut nous transformer, nous mettre en marche, et transformer aussi nos relations, notre rapport au monde, nous donner de discerner les structures de pouvoir et d'oppression et la force de nous mobiliser pour les transformer.

La spiritualité qui découle de cette mission est une spiritualité transformatrice, en forme d'ellipse à deux centres : l'intériorité et l'action dans le monde ; pour le dire autrement, le rapport à la transcendance et l'incarnation. La tension entre ces deux centres fait que notre positionnement spirituel est toujours en mouvement, en équilibre fragile mais dynamique. Cette tension crée une dynamique vitale pour nous et nos Églises.

L’incarnation nous invite à nous intéresser à chaque contexte, car l’Évangile ne s’incarne pas de la même manière partout. Aussi la mission est éminemment contextuelle. Dès lors, un texte sur la mission qui émane du COE, organisme mondial, ne peut être que plutôt théorique, car il ne peut pas évoquer tous les contextes, toutes les remises en questions que suscite l’Évangile dans les différentes sociétés.

Mission depuis la périphérie/les marges
Le concept-clé le plus innovant du texte est aussi celui qui remet le plus en cause les occidentaux que nous sommes ; il s’agit de la mission depuis la périphérie (mission from the margins en anglais, qui évoque les marginaux). Ce concept nous invite à convertir nos logiques missionnaires.

(c) Joanna Lindén-Montes pour le COE
La politique, le pouvoir et les logiques techniciennes instaurent des lieux de pouvoir ou d’expertise qui deviennent des « centres », en particulier des centres de décision ; ceux qui n’ont pas de pouvoir se retrouvent en marge de ces centres, et souvent leur marginalisation ne concerne pas que le pouvoir de décision, mais aussi les moyens de subsistance. Hors ceux qui sont aux marges sont ceux qui luttent en faveur de la vie, à commencer pour eux-mêmes. Ils savent donc mieux que quiconque ce qui menace la vie ; ils ont une forte capacité prophétique, mais pas de voix pour l’exprimer. Et la plupart du temps, ils ont la motivation et le courage de changer les choses (ils ont moins à perdre et plus à gagner). Faire de la mission, c’est d’abord mettre ses personnes en capacité de s’exprimer et d’être agents de changement et favoriser leur participation. C'est ce que l'on appelle en anglais "empowerment", en français "renforcement des capacités". Cela peut être "dangereux" car cela peut les amener à dénoncer nos propres fautes, nos incohérences ou nos infidélités à l’Évangile !

Les convergences avec Une Église de témoins
La mission est donc pour nous un exercice d’humilité et de confiance : nous sommes là apprendre et être portés par les autres. C’est d’autant plus difficile que les gens en marge n’ont pas de pouvoir dans la société et que nous ne les considérons pas forcément comme des gens « fiables » du fait qu’ils sont en marge, que leur expérience de vie est trop différente de la nôtre.

(c) Joanna Lindén-Montes pour le COE (1)
Nous devons d’abord faire confiance à Dieu, qui lui compte sur eux, pour arriver à leur faire confiance et à leur donner le pouvoir en matière de mission… nous avons besoin de nous laisser décentrer pour ensuite leur laisser une place ; pour accepter qu’il n’y ait plus de centre, ou plutôt un centre vide, un centre que le Dieu de Jésus-Christ pourra venir visiter. Cette démarche nous pousse aussi à sortir de notre individualisme et de notre désir de maîtrise, en un cercle vertueux : moins je cherche à maîtriser, plus je me confie à Dieu et à la communauté, plus la communauté me porte et m’aide à lâcher prise et à faire confiance, et ainsi de suite.

Cette attitude propage la confiance, elle rend visible que nous sommes tous enfants de Dieu et démultiplie les témoins de la bonne nouvelle. Bref, la dynamique de notre Église "Une Église de témoins" a tout à gagner à s'inscrire dans cette vision plus générale de la mission de Dieu dans le monde.

Claire Sixt Gateuille

  (1) traduction du message sur la photo du bas : "La mission consiste à découvrir où l'Esprit est à l’œuvre et à y participer".

jeudi 5 mai 2016

Les relations internationales au synode

Synode 2016 à Nancy, aumônerie : Joel Dautheville
Pour ceux qui ne connaissent pas bien le fonctionnement de l’Église protestante unie de France, le synode est en quelque sorte l'assemblée générale de l'association (cultuelle, loi 1905) qu'est notre Église au niveau national. Il se tient chaque année le week-end de l'ascension, du jeudi au dimanche, dans une ville chaque fois différente. C'est aussi un occasion de rencontres, de débats, de bilan de l'année et parfois plus (cette année, par exemple, des travaux de groupes se pencheront sur le travail de la mandature de 4 ans qui se finira avec le synode 2017 pour en faire de bilan et tirer des perspectives dans les différents domaines de la vie de l’Église au niveau national). 

Parle-t-on des relations internationales pendant un synode ? Oui, un peu, parfois beaucoup, suivant le thème.

Elles sont abordées de diverses manières : 
- Tout d'abord, suivant le thème synodal, les avis ou positions d'Eglises-soeurs sur la question débattue peuvent être présentés dans le document synodal mis à disposition par les rapporteurs (= les gens qui coordonnent le travail autour de cette question débattue).
- Ensuite, par la présence d'invités étrangers. Il y en a chaque année, plus ou moins nombreux selon le thème synodal. En 2013, au synode inaugural, ils étaient une trentaine. Cette année, ils ne sont que 6, venant des Églises géographiquement et ecclésialement les plus proches ou de la Cevaa. Certains adresseront des salutations de leur Église au synode. 
- les relations internationales sont encore abordées lors des temps d'examen du rapport du conseil national et des services de l'union, ainsi que lors du temps consacré au Défap. 
- Enfin, il arrive souvent qu'elles soient abordées dans les contacts interpersonnels, lorsque quelqu'un vient m'interroger sur tel ou tel projet qu'une paroisse ou un consistoire voudrait monter, me demander des noms de conférenciers sur un sujet dépassant les frontières ou me demander des idées pour relancer un jumelage...

Bref, même si je n'ai qu'un statut d'invitée au synode (comme tous les membres de l'équipe nationale d'animation), je m'y ennuie rarement et c'est une occasion précieuse d'échanges et de discussions... pour laquelle je suis reconnaissante.

Claire Sixt Gateuille

jeudi 21 avril 2016

Une herméneutique biblique luthérienne ?

Depuis quelques années, la Fédération luthérienne mondiale (FLM) a lancé des "consultations d'herméneutique luthérienne".

Contrairement à ce que ce nom en français pourrait laisser penser (l'anglais comporte un pluriel), le but n'est pas d'établir quelle est la "droite interprétation" des écritures selon les luthériens. S'il peut aider à réactualiser le principe herméneutique luthérien ("Nous lisons les textes bibliques à partir de leur centre : l’Évangile du salut en Jésus-Christ", dit la FLM) pour aujourd'hui, il permet surtout aux Églises, avec leurs différentes cultures, de croiser leurs lectures de la Bible et de mettre en valeur la variété et la richesse de ces lectures au sein des Églises luthériennes et unies qui composent la FLM, les aidant à réentendre toujours à neuf les interpellations que l’Évangile nous adresse. L'idée est aussi de renforcer "l'herméneutique transformatrice", c'est à dire la capacité de transformation (de soi, des relations, de l’Église, du monde) que la lecture des Écritures contient en elle.

Ces consultations se tiennent chaque année, le plus souvent avec un thème biblique. Et chaque session fournit l'occasion de produire un livre contenant les exposés donnés lors de cette session. En 2012, est sorti "You have the Words of Eternal Life", qui travaillait sur l’Évangile de Jean ; en 2014, "Singing the Songs of the Lord in Foreign Lands" se concentrait sur les psaumes ; en 2015, "To All the Nations" se concentrait sur l'Evangile de Matthieu. 

Dans ce dernier volume, deux exposés m'ont particulièrement marqué : l'un, intitulé "How do we deal with a challenging text?" (comment faire avec un texte qui nous pose problème ?) développe la lecture que faisait Luther du sermon sur la montagne (Mt 5-7), lui qui insistait tellement sur la grâce et se méfiait des "bonnes œuvres". Son auteur (Bernd Oberdorfer) montre que pour Luther, la question de ce que l'on "doit faire" en tant que chrétiens est seconde par rapport à la question de la foi (mais pas secondaire...). Les béatitudes, par exemple, sont des fruits de la foi et non des efforts des humains. Néanmoins, la foi ne rend pas passif, elle n'est pas une excuse pour fuir la réalité dans une spiritualisation, mais bien un moteur pour lutter pour la justice ici-bas. Dans ce sens, le sermon sur la montagne est donc une sorte "d'instruction pour la vie chrétienne", même si celle-ci comporte des instructions qui ne semblent pas "culturellement plausibles", qui remettent en cause le sens commun.

L'autre exposé qui m'a touché est celui sur la théologie de la croix chez Matthieu dans une perspective dalit (A Theology of the Cross and the Passion in Matthieu: An Indian Dalit Pespective). Joseph Prabhakar Dayam y souligne l'importance de l'écrit comme accès à la connaissance chez les dalits et de la Bible comme objet symbole de libération. Le haut taux d’illettrisme parmi les dalits font des chants religieux durant les offices des vecteurs très forts de théologie, en particulier les chants de carême, la théologie de la croix étant centrale pour eux. Cette théologie de la croix s'articule autour de l'amour du Christ, déversé sur la croix. La théologie de la croix s'articule pour eux avec la foi, la guérison, la réconciliation et l'intégrité. Le Christ en croix est à la fois une figure d'identification et un symbole de la faiblesse dans laquelle Dieu se manifeste. Cette dialectique de la croix comme lieu à la fois de souffrance et de libération, d'identification et d'altérité, comme lieu d'impureté et d'"impureté surmontée" résonne avec l'expérience de ce peuple et agit comme un moteur de libération. 

D'autres articles sont intéressants même s'ils ne tiennent pas toutes leurs promesses, comme celui qui invite à se mettre à la place des migrants lorsque nous lisons le texte de la fuite en Egypte (Mt 2). Ces ouvrages, qui n'existent malheureusement qu'en anglais, sont commandables (et/ou téléchargeable pour le dernier) sur le site de la FLM

Claire Sixt Gateuille

mardi 5 avril 2016

Déclarations de foi d'Eglises-soeurs

En ce moment, l’Église protestante unie travaille sur un projet de déclaration de foi, dans le cadre de son processus synodal : les paroisses travaillent actuellement la première proposition, elle doivent faire remonter d'ici le mois de juillet leurs commentaires au niveau régional. Puis les synodes régionaux débattront sur la proposition ainsi que les commentaires et propositions de modification remontées des Églises locales, au mois de novembre. Les résultats des débats régionaux seront synthétisés au niveau national en vue du travail du synode national en mai 2017, travail qui devrait aboutir à l'adoption de la version définitive de notre déclaration de foi. 

D'autres Églises-sœurs ont déjà adopté des déclarations de foi ces dernières années. D'autres encore se contentent des confessions de foi datant des Pères de l’Église et de la Réforme. Si vous êtes intéressés par les déclarations de foi adoptées ces dernières années, vous trouverez ci-dessous les liens (en cliquant sur les noms des Églises) directs vers certaines d'entre elles : 
- Église d’Écosse (en anglais) : Cette déclaration de foi, adoptée en 1992, garde une forme très classique, mais adopte un vocabulaire plutôt actualisé. 
- Église unie du Christ (USA, en anglais) : cette déclaration de foi de 1959 a été réécrite dans une version modernisée et dans une version liturgique en 1981. 
- l'Église du Christ (Église des Disciples) (USA, en anglais) : cette déclaration de foi est le préambule du "dessein de l’Église", sorte de discipline (document présentant l'ecclésiologie - c'est à dire l'auto-compréhension - et l'organisation de cette Église).
- Église Unie du Canada : Cette église a plusieurs déclarations de foi : la première date de 1940 et est assez classique (c'est à dire plutôt destinée à un usage dogmatique, la 2ème, de 1968 est plutôt liturgique ; et la dernière, de 2006, plutôt narrative (on dirait un poème épique...).
- Église évangélique au Maroc : Cette Église a choisi d'adopter en 2011 une déclaration de foi clairement ecclésiologique ; tout en gardant une structure classique, elle insiste sur l'identité de l’Église et l'action de Dieu en son sein.

Les différentes déclarations de foi de l’Église unie du Canada montrent bien les trois fonctions d'une confession ou d'une déclaration de foi : dogmatique, liturgique, narrative (c'est à dire positionnant ceux qui la prononcent, individuellement et collectivement, dans une histoire de la révélation, de la manifestation de Dieu dans le monde et dans l'événement du salut).

D'ici un ou deux mois devrait sortir, dans la revue Evangile et Liberté, un article où je présente pourquoi telle ou telle Église a choisi ou non d'adopter une déclaration de foi. 

Claire Sixt Gateuille

mardi 15 mars 2016

Ensemble vers la vie - publié et commenté

Le dernier texte du Conseil œcuménique des Eglises (COE) sur la mission, préparé par la commission Mission et évangélisation du COE et présenté à Busan en 2013, a été enfin publié en français, aux éditions Olivétan, au mois de janvier. J'avais déjà présenté, en juin 2014, les grandes lignes de ce texte et mes premières réactions à sa lecture sur ce blog.

En ce mois de janvier, sort également le numéro 70 de la revue Perspectives Missionnaires, qui présente ce même texte et son intérêt pour notre contexte. Ce dossier, que j'ai préparé en collaboration avec Jane Stranz, commence avec deux traductions d'articles parus en anglais dans l'International Review of Mission en avril 2014. Il se poursuit par deux articles présentant la réception de ce texte par deux français, l'un catholique, l'autre protestant (en l’occurrence, moi-même). 

Si vous le lisez, vous vous apercevrez que mon regard sur ce texte a évolué, d'une impression d'étrangeté et de densité difficile à appréhender malgré ma curiosité à un intérêt certain pour ce foisonnement qui "m'aide à construire une vision unifiée de ce qu'est la mission et des interactions entre les différents domaines qu'elle couvre" (PM p.27-28). Je dégage en particulier dans cet article ce qui me semble être les trois axes majeurs de ce texte : 
- la mission est d'abord une question spirituelle
- la vie est un tout
- la mission, comme toute activité humaine, est toujours à convertir, pour être irriguée par l'Esprit, pour être vécue dans l'humilité et laisser les rênes à Dieu. Sinon, elle redevient un enjeu de pouvoir, avec ses centres de pouvoir et ses personnes rejetées aux marges.

je vous encourage vraiment à lire ce texte Ensemble vers la vie en groupes, à plusieurs, pour voir comment il résonne avec les expériences de vie et les lectures du monde et de la mission des uns et des autres.

Petite précision : on peut désormais acheter PM au Numéro et plus seulement sur abonnement ; et découvrir cette revue sur le portail Regards protestants.

Claire Sixt Gateuille

lundi 7 mars 2016

Un petit tour à Coblence

Le 29 février, je me suis rendue à Coblence, pour rencontrer des représentants de l’Église protestante en Rhénanie (EKiR) impliqués dans (ou intéressés par) les relations avec l'EPUdF. 

J'étais accompagnée par Anne Oberkampf, qui représentait le réseau des amis du Foyer le Pont, un réseau de personnes membres ou proches de notre Église qui sont intéressées par les relations franco-allemandes. Ce réseau, qui vient d'être créé, a pour but de susciter des contacts et des projets communs avec nos amis de l'EKiR. Ce réseau est rattaché, comme son nom l'indique, au Foyer le Pont, un centre de rencontres situé à Paris, porté par l'EPUdF, l'EKiR, une autre organisation allemande et l’Église protestante allemande à Paris (la Christuskirche). 

Cette rencontre a été chaleureuse et intéressante. Elle nous a permis de passer en revue les points du partenariat qui nous lie à l'EKiR et comporte 7 points de coopération : échange de bonnes pratiques en matière d'évangélisation et d'expression de la foi dans une société sécularisée, formation des pasteurs, travail commun sur les problématiques abordées dans les institutions œcuméniques internationales, sur les questions concernant la migration, échanges autour de la musique d'Eglise, autour de la communication et des médias, et enfin rencontres et échanges, en particulier en lien avec le Foyer le Pont.

Krichenkreise de Coblence, où se tenait la réunion
Dans les discussions, nous avons noté que, nos forces étant limitées, notre but n'était pas de multiplier les initiatives, mais de poursuivre ou relancer les coopérations qui existent déjà, en particulier quand des chantiers sont en cours dans nos Églises (projet musique et Grand Kiff de notre côté, par exemple). Côté allemand, plusieurs professeures de théologie étant impliquées, la demande est forte côté échanges académiques et formation continue (un stage franco-allemand est régulièrement proposé aux pasteurs). Les stages communs de formation continue étant prévus environ 3 ans à l'avance, et leur organisation étant commune avec d'autres (les Églises de Westphalie et de Lippe côté allemand, l'UEPAL côté français), il est important de bien anticiper si nous voulons présenter des thèmes pour des stages communs.

Cette rencontre a également été l'occasion de partager des nouvelles de nos Églises respectives. Côté EKiR, une restructuration est en cours, qui devrait entrainer des fusions entre des services différents. Une des motivations à ces fusions est la nécessité de faire des économies (le nombre de protestants inscrits, et donc payant l'impôt ecclésiastique, est en baisse), mais les personnes qui travaillent dans ces services espèrent aussi que cela permettra une meilleure collaboration, moins de mise en compétition des différents chantiers et la mise en place de chantiers transversaux (qui permettent de traiter plusieurs problématiques en même temps, par exemple théologique et œcuménique et interculturelle). 

Bref, cette rencontre a été fructueuse et fraternelle, avec des pistes intéressantes pour la suite. 

Claire Sixt Gateuille

mercredi 27 janvier 2016

Bouvier, Kapu et quelques autres...

Mes proches savent que j'ai une tendance biblivore - à dévorer des livres - et bibliophile...
Parmi les auteurs qui ont nourri mon imaginaire et donné envie de m'occuper de relations internationales, deux grands écrivains voyageurs : Nicolas Bouvier et Ryszard Kapuczinski. Cette envie s'est aussi nourrie des carnets de voyages de dessinateurs ou d'aquarellistes que j'apprécie, voire des livres illustrés sur l'architecture ou d'Aquarelles comme ceux de Fabrice Moireau.

Mais parlons aujourd'hui des écrivains. Nicolas Bouvier, intellectuel et artiste suisse, a su développer son œuvre autour de toute une gamme de perspectives, de la plus large - la découverte d'autres contextes, dont l'étrangeté nous heurte ou nous fascine - à la plus intime, le vrai voyage étant celui que l'on fait à la découverte de soi-même.

Un petit extrait de l'Usage du monde, où Bouvier parle des images d'Issa (Jésus) que l'on trouve dans les bazars afghans, et de ce que ce personnage représente dans la culture afghane. Il nous fait ici mesurer l'écart culturel : "C'était un doux, Issa, égaré dans un monde dur, avec la police contre Lui, et pour compagnons, des lièvres bons à s'endormir, à trahir ou à détaler devant les torches des soldats. Trop doux peut-être, ici où faire le bien aux méchants c'est comme faire le mal aux bons, il y a des mansuétudes qu'on ne peut pas comprendre. Cette façon par exemple de désarmer Pierre au Jardin des Oliviers, voilà qui passe l'entendement. Peut-être un fils de Dieu peut-il pousser aussi loin la clémence, mais certes Pierre, qui n'était qu'un homme, aurait dû faire la sourde oreille. Avec quelques Pathans à Gethsémani, la police n'aurait pas emporté l'affaire, ni Judas ses trente deniers." (Nicolas Bouvier, Oeuvres, Paris : Gallimard, p.372-373).

Et un autre, de Chronique japonaise, où Bouvier raconte le séjour de 4 mois qu'il a fait dans un temple bouddhique, non pour s'initier à cette religion mais parce qu'il y a trouvé un logement à louer. Un beau témoignage du fait que l'ailleurs nous enseigne surtout sur nous-même : "Je n'ai pas été bien studieux : ce que je sais du Zen aujourd'hui me permet tout juste de mesurer à quel point j'en manque, et combien ce manque est douloureux. Je me console en me disant que, dans le vieux Zen chinois, c'était la tradition de préférer, pour succéder au maître, le jardinier qui ne savait rien au prieur qui en savait trop.
J'ai conservé toutes mes chances intactes."(Nicolas Bouvier, Oeuvres, Paris : Gallimard, p.603-604).

Ryszard Kapuczinski, journaliste et écrivain polonais, avait quant à lui l'art de se mettre au ras des gens, à leur niveau, de leur être attentif et d'adopter leur rythme, que ce soit en Pologne sous le communisme, en Afrique ou en Amérique centrale. Il me donne l'impression d'avoir toujours une grande tendresse pour celles et ceux dont il parle. Témoin de l'absurdité des guerres et de l'humanité des plus humbles, il retravaillait parfois ces reportages pour en faire de vraies œuvres littéraires, recherchant la vérité intime plus que la vérité historique ou objective.

Je vous livre ici un petit extrait de la Guerre du Foot, qui médite sur ce mot de "guerre" que l'on utilise parfois à tort et à travers aujourd'hui :"La guerre a blessé tout le monde, et ceux qui ont survecu ne peuvent pas s'en remettre. L'homme qui a vécu une guerre est différent de celui qui n'en a jamais vécu. Ce sont deux espèces humaines différentes. Jamais ils ne trouveront un langage commun car on ne peut pas vraiment décrire la guerre, on ne peut pas la partager, on ne peut pas dire à quelqu'un : "prends un peu de ma guerre."
Chacun doit vivre jusqu'au bout avec sa propre guerre. (...) Je tiens à souligner la chose suivante : le propre de la guerre est de prendre sous ses ailes noires tout le monde sans exception. Personne ne peut rester de côté, personne ne peut rester assis devant son café quand il faut passer à l'assaut" (Ryszard Kapuczinski, Oeuvres, Paris : Flammarion, p.243-244.)

Si vous ne connaissez pas ces deux auteurs, je ne peux que vous encourager à les découvrir...

Claire Sixt Gateuille

samedi 23 janvier 2016

Semaine de l'unité

Baptistère, Cathédrale luthérienne, Riga
Si vous n'avez pas encore lu l'introduction au thème de l'année 2016 de la semaine de prière pour l'unité, je vous invite à le faire (à télécharger sur le site du COE). La présentation des Églises en Lettonie est intéressante, à la fois par leur diversité, leur témoignage commun et les défis qui se posent à elles. 

Ces Eglises ont choisi pour thème les versets 9 et 10 du 2ème chapitre de la première épître de Pierre : "Mais vous, vous êtes la race élue, la communauté sacerdotale du roi, la nation sainte, le peuple que Dieu s’est acquis, pour que vous proclamiez les hauts faits de celui qui vous a appelés des ténèbres à sa merveilleuse lumière, vous qui jadis n’étiez pas son peuple, mais qui maintenant êtes le peuple de Dieu ; vous qui n’aviez pas obtenu miséricorde, mais qui maintenant avez obtenu miséricorde."

Ce texte n'est pas d'un abord évident, avec ses références au sarcerdoce et à l'élection, qui renvoient à la culture juive ou vétérotestamentaire, et son vocabulaire daté. Pourtant, qui prend le temps de se mettre à l'écoute du texte en verra toute la richesse. Je me méfie toujours de ces textes qui parlent d'élection. Depuis le puritanisme, on a trop vite tendance à en avoir une interprétation triomphaliste ("parce que je le vaux bien !") ou excluante ("je suis élu(e) et pas toi !"). 

Mais le texte biblique désamorce vite mes craintes : Cette élection, d'abord, n'est pas identitaire, mais missionnaire, vocationnelle. Contrairement à l'appartenance au peuple élu, qui était héritée dans le peuple juif et pouvait donc être revendiquée de façon identitaire (rappelons-nous comment Jean-Baptiste désamorce cette revendication identitaire en Luc 3.8 : "ne commencez pas à dire "Nous avons Abraham pour père !" Car je vous dis que, de ces pierres, Dieu peut susciter des enfants à Abraham"), l'appartenance à ce nouveau peuple de Dieu est donnée dans la foi - donc non acquise - et implique un but. L'élection a eu lieu pour que : "pour que vous proclamiez les hauts faits" de Dieu. L'élection implique une responsabilité, une mission à remplir, c'est un appel autant qu'une élection.Cette élection n'a de sens que rattachée à la responsabilité de témoigner de ce que Dieu a fait et fait dans ce monde, dans notre vie. 

Église St Jean (luthérienne) à Riga
Ensuite, cette élection n'est pas gagnée ni méritée, mais reçue par grâce (verset 3 : "vous avez goûté que le Seigneur est bon") et elle surmonte les fatalités : "vous qui n’aviez pas obtenu miséricorde, mais qui maintenant avez obtenu miséricorde", v.10. L'identité du croyant, et même l'identité de tout être humain, n'est pas figée, déterminée à l'avance, mais ouverte à l'action de la grâce de Dieu. Et cette élection est paradoxale : Nous sommes élus par un Dieu qui se révèle en Jésus-Christ, qui a lui-même été rejeté... il devient dur de se prévaloir de cette élection pour briller en société ! Et cela ne nous permet pas non plus de briller dans la communauté des croyants, puisque tous ceux qui s'approchent du Christ sont les élus, donc aucun de brille plus qu'un autre...

Enfin, il faut lire ce texte biblique dans son contexte, et même doublement : dans le contexte où il a été écrit et dans le contexte qui a amené ces Églises lettones à le choisir. Ce texte est écrit dans un contexte d'adversité, où la communauté chrétienne se retrouve en tension avec la communauté juive dont elle est issue, critiquée pour la place centrale qu'elle donne au Christ et la réinterprétation qu'elle fait des Écritures par le prisme de la vie et de la croix du Christ. C'est une communauté fragilisée que Pierre encourage et valorise en la désignant comme "peuple que Dieu s'est acquis". Et ce texte biblique raisonne aujourd'hui dans nos contextes de sécularisation, de contestation de notre droit à dire notre foi dans l'espace public, de fragilisation de toute parole institutionnelle. Ce texte résonne alors non comme une affirmation triomphaliste, mais comme un encouragement dans notre humilité, une reconnaissance que dans notre fragilité, Dieu vient faire de grandes choses.

Claire Sixt Gateuille 

mercredi 6 janvier 2016

Avent, Noël, et après ?

Une crèche d'Artisanat Sel
Petite réflexion en ce jour de l'Epiphanie... 
J'aime la période de l'Avent, l'attente, la symbolique de la lumière, les textes de promesse tirés d'Esaïe, la chaleur de ces temps partagés dans le culte ou autour de bredele ou d'un vin chaud. J'aime les chants de Noël, dont j'ai réalisé qu'ils agissaient comme une madeleine de Proust à travers les générations, la douceur du récit de l’Évangile de Luc, la simplicité des bergers et de nos assemblées réunies autour de la bonne nouvelle, la chaleur et le plaisir d'être ensemble dont j'ai la chance de bénéficier en famille (je sais que ce n'est pas le cas de toutes les familles...).

L'Avent dure 1 mois. Pour Marie, il a duré bien plus, 9 mois. Notre avent d'un mois est finalement assez masculin, les hommes réalisant souvent seulement au dernier mois de grossesse ce qui va vraiment leur arriver d'ici peu... Mais si l'Avent durait 9 mois chaque année, il n'y aurait plus beaucoup de place pour les autres temps liturgiques ! 

Noël dure une journée. Souvent même un peu plus, parce qu'on ne peut pas être avec tous en même temps, et que donc les réjouissances s'étalent sur plusieurs jours. Et spirituellement, la naissance de Jésus, ce temps extraordinaire, où le ciel et la terre s'embrassent, où l'inimaginable vient nous rencontrer, où Dieu se fait homme, cette naissance a besoin de quelques jours pour que nous en prenions la mesure. Comme une jeune mère a bien besoin de ses quelques jours à la maternité pour prendre des repères et commencer à connaître son enfant. 

Puis vient l'après. Que faisons-nous de ce Jésus tout juste né ? Le remmaillotons-nous pour le ranger avec la crèche jusqu'à l'année prochaine ? Ou apprenons-nous à le connaître, à entrer dans ce mystère plus grand que nous qu'est l'incarnation ? J'aimerais dire "est-ce que nous réalisons la force, la portée de l'incarnation ?", mais pour réaliser, il faut faire rentrer cette idée, ce symbole, cet impensable, dans une structure mentale, dans une conception du monde, dans une compréhension. Or cela risque de limiter l'incarnation, de la rationaliser, de l'enclore dans ce que l'on peut en comprendre...

Carte de Noël de l’Église protestante en Allemagne (EKD)
L'incarnation garde toujours une dimension qui dépasse notre compréhension. L'incarnation, c'est Dieu qui vient rencontrer le fini et devenir chair en lui. C'est Dieu qui vient rencontrer notre monde, rencontrer notre humanité et l'endosser, l'assumer, affirmer qu'elle ne s'oppose pas au divin mais le sert, qu'elle n'est pas d'abord désobéissance mais germe, qu'elle est vie avant d'être mort, avant d'être poussière et vie en étant poussière... Après Noël vient le temps d'apprivoiser la présence de Dieu dans le monde; dans nos vies, et de se laisser apprivoiser par lui.

Pour les jeunes mères, ce temps de transition des premiers mois est souvent un temps de fragilité, de bousculement intérieur et de doutes, tout autant qu'un temps d'émerveillement et de prise de conscience. Dans les premières semaines après la naissance de ma fille, je dois avouer avoir eu plus d'une fois peur de moi-même, de ma "toute-puissance" face à ce nouveau-né qui me demandait tellement et dépendait tellement de moi... Ce fut le temps de prendre conscience de ma responsabilité... Un temps, aussi, où l'on se sent traversée de forces contradictoires, parfois prise dans des tempêtes intérieures, toujours poussée par ce don de la vie qui vient de nous traverser, désormais consciente de la fragilité de cette vie. Un temps où les gestes les plus simples prennent de l'importance : manger, dormir, se laver (pour le bébé comme pour nous) ; un temps où nous réalisons l'importance de notre corps alors que nous avons souvent tendance le reste du temps à l'oublier ou le traiter comme un accessoire. Un temps où le quotidien revêt une densité nouvelle, est habité de façon nouvelle, prend une valeur nouvelle.

Nous avons toujours tendance à sortir trop vite de Noël. Après l'épiphanie, c'est plié. Dans les paroisses, se profile déjà la semaine de l'unité, dans nos vies la reprise d'un quotidien souvent éreintant, dans nos cœurs, déjà, se dessine la demande de trouver plus de temps pour se ressourcer spirituellement, pour prendre du recul par rapport au flot de nos vies. Nous oublions vite que l'incarnation continue dans tous ces moments et que Dieu vient faire du quotidien un lieu de rencontre et d'apprentissage, le lieu de sa présence dans nos cœurs et nos vies... Nous oublions souvent que Dieu n'est pas à la marge mais au cœur de nos vies, nous qui passons souvent à côté de ce cœur.

Claire Sixt Gateuille