jeudi 21 avril 2016

Une herméneutique biblique luthérienne ?

Depuis quelques années, la Fédération luthérienne mondiale (FLM) a lancé des "consultations d'herméneutique luthérienne".

Contrairement à ce que ce nom en français pourrait laisser penser (l'anglais comporte un pluriel), le but n'est pas d'établir quelle est la "droite interprétation" des écritures selon les luthériens. S'il peut aider à réactualiser le principe herméneutique luthérien ("Nous lisons les textes bibliques à partir de leur centre : l’Évangile du salut en Jésus-Christ", dit la FLM) pour aujourd'hui, il permet surtout aux Églises, avec leurs différentes cultures, de croiser leurs lectures de la Bible et de mettre en valeur la variété et la richesse de ces lectures au sein des Églises luthériennes et unies qui composent la FLM, les aidant à réentendre toujours à neuf les interpellations que l’Évangile nous adresse. L'idée est aussi de renforcer "l'herméneutique transformatrice", c'est à dire la capacité de transformation (de soi, des relations, de l’Église, du monde) que la lecture des Écritures contient en elle.

Ces consultations se tiennent chaque année, le plus souvent avec un thème biblique. Et chaque session fournit l'occasion de produire un livre contenant les exposés donnés lors de cette session. En 2012, est sorti "You have the Words of Eternal Life", qui travaillait sur l’Évangile de Jean ; en 2014, "Singing the Songs of the Lord in Foreign Lands" se concentrait sur les psaumes ; en 2015, "To All the Nations" se concentrait sur l'Evangile de Matthieu. 

Dans ce dernier volume, deux exposés m'ont particulièrement marqué : l'un, intitulé "How do we deal with a challenging text?" (comment faire avec un texte qui nous pose problème ?) développe la lecture que faisait Luther du sermon sur la montagne (Mt 5-7), lui qui insistait tellement sur la grâce et se méfiait des "bonnes œuvres". Son auteur (Bernd Oberdorfer) montre que pour Luther, la question de ce que l'on "doit faire" en tant que chrétiens est seconde par rapport à la question de la foi (mais pas secondaire...). Les béatitudes, par exemple, sont des fruits de la foi et non des efforts des humains. Néanmoins, la foi ne rend pas passif, elle n'est pas une excuse pour fuir la réalité dans une spiritualisation, mais bien un moteur pour lutter pour la justice ici-bas. Dans ce sens, le sermon sur la montagne est donc une sorte "d'instruction pour la vie chrétienne", même si celle-ci comporte des instructions qui ne semblent pas "culturellement plausibles", qui remettent en cause le sens commun.

L'autre exposé qui m'a touché est celui sur la théologie de la croix chez Matthieu dans une perspective dalit (A Theology of the Cross and the Passion in Matthieu: An Indian Dalit Pespective). Joseph Prabhakar Dayam y souligne l'importance de l'écrit comme accès à la connaissance chez les dalits et de la Bible comme objet symbole de libération. Le haut taux d’illettrisme parmi les dalits font des chants religieux durant les offices des vecteurs très forts de théologie, en particulier les chants de carême, la théologie de la croix étant centrale pour eux. Cette théologie de la croix s'articule autour de l'amour du Christ, déversé sur la croix. La théologie de la croix s'articule pour eux avec la foi, la guérison, la réconciliation et l'intégrité. Le Christ en croix est à la fois une figure d'identification et un symbole de la faiblesse dans laquelle Dieu se manifeste. Cette dialectique de la croix comme lieu à la fois de souffrance et de libération, d'identification et d'altérité, comme lieu d'impureté et d'"impureté surmontée" résonne avec l'expérience de ce peuple et agit comme un moteur de libération. 

D'autres articles sont intéressants même s'ils ne tiennent pas toutes leurs promesses, comme celui qui invite à se mettre à la place des migrants lorsque nous lisons le texte de la fuite en Egypte (Mt 2). Ces ouvrages, qui n'existent malheureusement qu'en anglais, sont commandables (et/ou téléchargeable pour le dernier) sur le site de la FLM

Claire Sixt Gateuille

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