mercredi 15 juin 2016

Ensemble vers la vie : un cheminement à travers le texte

Déjà un mois que je n'ai pas alimenté ce blog, veuillez m'en excuser... Je pars dans huit jours en congé maternité, aussi le rythme de publication risque-t-il de s'espacer encore plus dans les prochains mois. 

Forum œcuménique, 7 juin 2016, maison du protestantisme (c) CSG
La semaine dernière, je suis intervenue au Forum œcuménique organisé par la fédération protestante de France, sur le texte Ensemble vers la vie (du Conseil œcuménique des Églises, sur la mission, sorti en 2012-2013, publié chez Olivétan en 2015). J'ai déjà présenté plusieurs fois ce texte, sur ce blog en juin 2014 et en mars 2016. Lors de ce forum, j'ai proposé un itinéraire - tout personnel - de lecture de ce texte d'un grand foisonnement. Je vais tenter de vous le retracer ici.

Missio Dei
Pour moi, ce texte offre une forme de "narration", il présente la présence et l'action de Dieu pour ce monde, dans lesquels tout projet missionnaire s'inscrit. Il offre donc une vision globale de la mission, mais pas une vision totalisante, car seul Dieu possède cette vision globale : la mission est avant tout Mission de Dieu (Missio Dei). Cette mission est - per se - globale, holistique : elle prend en compte le monde entier et toute la complexité du vivant, de même qu'elle prend en compte notre personne toute entière, notre vie dans toutes ses dimensions et toutes ses relations.

A mon avis, ce texte chemine de Dieu vers la mission et de la mission vers nous. Or quand nous parlons de mission, nous avons tendance nous avons tendance à aller de nous vers la mission, une mission qui serait à réaliser, à faire. Or c'est la mission qui vient à nous, le flot de la mission de Dieu qui nous invite à nous jeter à l'eau, à nous laisser porter par la dynamique missionnaire de Dieu, individuellement et en Église. 

Spiritualité transformatrice
(c) Joanna Lindén-Montes pour le COE
Si la mission est Mission de Dieu, nous ne pouvons pas nous contenter d'une vision cloisonnée, spécialisée de la mission, mise en œuvre par des spécialistes à qui nous la déléguerions. Il est important de penser les différentes formes de mission comme complémentaires. le foisonnement des formes de mission - tout comme le foisonnement de ce texte - commence par nous déstabiliser, mais il se révèle indispensable pour remettre Dieu aux commandes et abandonner notre désir de maîtrise. Ainsi, Dieu peut nous transformer, nous mettre en marche, et transformer aussi nos relations, notre rapport au monde, nous donner de discerner les structures de pouvoir et d'oppression et la force de nous mobiliser pour les transformer.

La spiritualité qui découle de cette mission est une spiritualité transformatrice, en forme d'ellipse à deux centres : l'intériorité et l'action dans le monde ; pour le dire autrement, le rapport à la transcendance et l'incarnation. La tension entre ces deux centres fait que notre positionnement spirituel est toujours en mouvement, en équilibre fragile mais dynamique. Cette tension crée une dynamique vitale pour nous et nos Églises.

L’incarnation nous invite à nous intéresser à chaque contexte, car l’Évangile ne s’incarne pas de la même manière partout. Aussi la mission est éminemment contextuelle. Dès lors, un texte sur la mission qui émane du COE, organisme mondial, ne peut être que plutôt théorique, car il ne peut pas évoquer tous les contextes, toutes les remises en questions que suscite l’Évangile dans les différentes sociétés.

Mission depuis la périphérie/les marges
Le concept-clé le plus innovant du texte est aussi celui qui remet le plus en cause les occidentaux que nous sommes ; il s’agit de la mission depuis la périphérie (mission from the margins en anglais, qui évoque les marginaux). Ce concept nous invite à convertir nos logiques missionnaires.

(c) Joanna Lindén-Montes pour le COE
La politique, le pouvoir et les logiques techniciennes instaurent des lieux de pouvoir ou d’expertise qui deviennent des « centres », en particulier des centres de décision ; ceux qui n’ont pas de pouvoir se retrouvent en marge de ces centres, et souvent leur marginalisation ne concerne pas que le pouvoir de décision, mais aussi les moyens de subsistance. Hors ceux qui sont aux marges sont ceux qui luttent en faveur de la vie, à commencer pour eux-mêmes. Ils savent donc mieux que quiconque ce qui menace la vie ; ils ont une forte capacité prophétique, mais pas de voix pour l’exprimer. Et la plupart du temps, ils ont la motivation et le courage de changer les choses (ils ont moins à perdre et plus à gagner). Faire de la mission, c’est d’abord mettre ses personnes en capacité de s’exprimer et d’être agents de changement et favoriser leur participation. C'est ce que l'on appelle en anglais "empowerment", en français "renforcement des capacités". Cela peut être "dangereux" car cela peut les amener à dénoncer nos propres fautes, nos incohérences ou nos infidélités à l’Évangile !

Les convergences avec Une Église de témoins
La mission est donc pour nous un exercice d’humilité et de confiance : nous sommes là apprendre et être portés par les autres. C’est d’autant plus difficile que les gens en marge n’ont pas de pouvoir dans la société et que nous ne les considérons pas forcément comme des gens « fiables » du fait qu’ils sont en marge, que leur expérience de vie est trop différente de la nôtre.

(c) Joanna Lindén-Montes pour le COE (1)
Nous devons d’abord faire confiance à Dieu, qui lui compte sur eux, pour arriver à leur faire confiance et à leur donner le pouvoir en matière de mission… nous avons besoin de nous laisser décentrer pour ensuite leur laisser une place ; pour accepter qu’il n’y ait plus de centre, ou plutôt un centre vide, un centre que le Dieu de Jésus-Christ pourra venir visiter. Cette démarche nous pousse aussi à sortir de notre individualisme et de notre désir de maîtrise, en un cercle vertueux : moins je cherche à maîtriser, plus je me confie à Dieu et à la communauté, plus la communauté me porte et m’aide à lâcher prise et à faire confiance, et ainsi de suite.

Cette attitude propage la confiance, elle rend visible que nous sommes tous enfants de Dieu et démultiplie les témoins de la bonne nouvelle. Bref, la dynamique de notre Église "Une Église de témoins" a tout à gagner à s'inscrire dans cette vision plus générale de la mission de Dieu dans le monde.

Claire Sixt Gateuille

  (1) traduction du message sur la photo du bas : "La mission consiste à découvrir où l'Esprit est à l’œuvre et à y participer".