jeudi 20 avril 2023

Concorde de leuenberg : dynamique du perpétuel

Temple de Tarbes (c) Y.Borgeaud
 

En 1965, Taizé choisit d’entrer, avec l’accueil des jeunes, dans une « dynamique du provisoire ». On pourrait dire qu’en 1973, les Églises signataires de la Concorde de Leuenberg choisissent d’entrer dans une dynamique du perpétuel. Car les relations mutuelles qui ont été établies ou renforcées par les dialogues théologiques préalables à la Condorde ont désormais vocation à être entretenues et même intensifiées.

Le lecteur du texte français peut passer à côté de cette dimension dynamique du texte mais en allemand, les mentions régulières du mot « chemin » (Weg, traduit tout à tour par cheminement, façon, voie en français), de ses dérivés (comme Bewegung, mouvement ou vorwegnehmen, anticiper) et du verbe « conduire » (fahren) donnent un certain élan au texte.

Dialectique du don et de l’appel

Par ailleurs, la dynamique est entretenue par une dialectique entre ce qui est donné et ce qui est à réaliser. Du côté du donné : L’unité est donnée. Elle est donnée en Jésus-Christ, unique fondement de l’Église. Le rapprochement entre les Églises signataires est aussi donné, par Dieu de façon implicite (« reconnaissantes d’avoir été amenées à se rapprocher » en Français) et par l’histoire de façon explicite (points 3-5). Les critères de l’unité de l’Église sur lesquels se fonde la communion ecclésiale sont également donnés (par l’ecclésiologie des réformateurs).

Du côté du « à réaliser », on trouve les quatre axes et toutes les pistes de la quatrième partie.

Ce qui articule les deux dimensions et crée la dynamique de la communion ecclésiale, c’est Jésus-Christ, et plus particulièrement, c’est qu’il soit au fondement de l’Église, qu’il la rassemble et l’envoie. La dimension de rassemblement crée la communion ecclésiale, nourrit les relations entre membres ; la dimension d’envoi la met en mouvement, vers les autres et vers l’avenir. Les deux sont inséparables. L’articulation rassemble-envoie permet à la communion ecclésiale de passer du passif à l’actif, du donné au « à réaliser ». Mais cette dynamique n’est pas temporelle, on n’est pas dans une logique temporelle d’un avant et d’un après, elle est perpétuelle, parce qu’on est dans une logique synchrone du donné et de l’appel, de la grâce et de l’espérance, de la même façon qu’on est à la fois juste et pécheur (simul justus, simul pécator). C’est la dialectique qui crée cette dynamique perpétuelle. La communion ecclésiale implique une ecclésiologie fondamentalement dynamique.

Dialectique de la communion et de la compréhension

La dynamique du texte est également donnée par sa logique interne, qu’une lecture trop rapide pourrait voir comme circulaire, mais qui est en fait une logique "spiralaire", qui mène à l'approfondissement de la communion. En effet, si l’on ne prend pas en compte les dimensions du donné et de l’envoi, on a l’impression que la dialectique entre la compréhension commune de l’Évangile, limitée dans le texte aux aspects essentiels pour la communion ecclésiale, et la communion ecclésiale, basée sur une compréhension commune de l’Évangile, tourne en fait en boucle, s’auto-justifiant et s’auto-limitant.

Or comme le pointe très justement Frédéric Chavel, dans son article « Comprendre et Communier, Leuenberg à réinterpréter » (dans G.Antier (éd), Les Protestants ont-ils le sens de l’Eglise ?, publié par Olivétan en 2021), on ne peut se limiter à ce couple simple « compréhension doctrinale-communion ecclésiale ». 

Ce n’est que parce que l’on cherche à recevoir pleinement l’unité donnée, l’unité comme communion (qui accepte la diversité du Christianisme, y compris de ces structures ecclésiales ; F. Chavel parle de « communion comme quête »), que l’on recherche une compréhension commune de l’Évangile. Cette compréhension n’est pas que doctrinale ; le doctrinal est en fait, comme le souligne Chavel, un outil de vérification du lien entre la communion et l’Évangile. Mais la compréhension de l’Évangile est bien plus large. Et c’est parce que l’on choisit de vérifier ensemble ce lien que la communion (en Christ) crée et nourrit la communion ecclésiale. F. Chavel souligne que la communion est source de compréhension au moins autant que l’inverse ; et que la communion ne se limite pas à la communion ecclésiale.

Cette vérification du lien entre la communion et l’Évangile a besoin d'être perpétuellement renouvelée (cela correspond au semper reformanda au niveau ecclésial). D'où la nécessité pour la communion ecclésiale d'entrer dans une logique de discussions doctrinales perpétuelle. Mais parce que la communion est plus large que la seule communion ecclésiale, cet aspect du travail théologique doit être complété les trois autres points mentionnés dans la Concorde : par le témoignage et le service commun, autre forme de proclamation de l’Évangile (non limitée aux communautés de foi, car toute la terre est appelée à la communion en Christ), par l'ouverture œcuménique (parce que que la communion est plus large de la communion ecclésiale) et par le travail structurel des Églises-membres et de structuration de la communion ecclésiale (pour que la communion ecclésiale devienne réalité agissante dans et entre les Églises-membres en tant que signe de la communion plus large).

jeudi 13 avril 2023

La concorde de Leuenberg : une communion ecclésiale à réaliser

(c) Claire Sixt-Gateuille

Nous sommes depuis 50 ans dans ce processus progressif de réception de cette nouvelle réalité qui consiste à nous reconnaître pleinement en communion ecclésiale avec les autres Églises luthériennes et réformées (et désormais méthodistes) d’Europe. Cette réception se fait principalement à deux niveaux : ad intra, et au niveau inter-ecclésial européen.

Il s’agit ad intra de développer une identité plus ouverte vis-à-vis d’un vocabulaire, de rites et d’habitudes ecclésiales parfois différents, et de cultiver des liens de voisinage et de coopération avec les Églises signataires proches géographiquement. Dans certains lieux, les Églises n’avaient pas attendu la Concorde pour ce faire, mais pour d’autres cette situation était assez nouvelle dans les années 70 et dépasser l’indifférence – voire l’hostilité – représentait et représente toujours un défi. 

Au niveau inter-ecclésial, c’est-à-dire au niveau de la construction de la communion ecclésiale en tant que « être ensemble l’Église du Christ » (selon le texte "Communion ecclésiale" tel qu'adopté à l'assemblée générale de 2018), quatre axes sont mentionnés dans la Concorde de Leuenberg :

  1. Un témoignage et un service communs : Il s’agit de pratiquer en actes ce que l’on prêche en paroles. La justification nous libère et nous engage pour un service commun. L’idée est de prendre, ensemble, nos responsabilités dans ce monde. Ce que pourrait signifier ce témoignage et ce service communs a mis du temps à se dessiner, mais depuis les années 90, la construction européenne au niveau politique a concrétisé un espace où ceux-ci pourraient se déployer.
  2. La poursuite du travail théologique : Le choix de créer une communion ecclésiale et non une grande Église européenne est un choix exigeant. En effet, pour que celle-ci dure et se déploie dans le temps, elle nécessite un entretien perpétuel, un retissage constant des liens entre Églises-membres, un approfondissement continu de la compréhension commune. Basée sur une compréhension commune de l’Évangile, elle doit sans cesse vérifier qu’il n’y a pas de mécompréhension qui pourrait s’installer et se développer dans le temps entre Églises, que les différences existantes gardent leur place dans le cadre plus large du consensus fondamental et que les questionnements ou réticences que certaines Églises ont vis-à-vis des choix d’autres Églises trouvent un espace pour être exprimés et donner lieu à un dialogue fraternel. Aussi les entretiens doctrinaux ne sont pas seulement à la source de la Concorde de Leuenberg, ils en sont aussi une des conséquences perpétuelles. Il faut développer, par les discussions théologiques, une commune orientation pour le témoignage et le service communs (voir axe 1, le texte allemand du pt 37 est plus explicite que la traduction française) ; et la pratique de ceux-ci permettra de vérifier, d’actualiser et d’approfondir cette compréhension commune de l’Évangile à la base de la communion ecclésiale, dans un cercle vertueux. La Concorde liste ici six thèmes à aborder en priorité, tout en ouvrant la porte à d’autres thématiques que la mise en œuvre de la communion ecclésiale ne manquera pas de soulever.
  3. Les conséquences organisationnelles : C’est sur ce point que la Concorde reste le plus prudente. Elle ne se prononce ni sur ce qui doit changer dans les Églises ni entre elles. Elle leur laisse toute latitude pour ce qui est d’adapter leur organisation et leurs pratiques à leur nouvelle appartenance à la communion ecclésiale. Il est seulement dit qu’elles doivent « en tenir compte » dans leurs règlements, constitution, discipline (regelungen), mais le texte précise – preuve que des réticences avaient été exprimées – que la communion de chaire et d’autel et la reconnaissance mutuelle des ministères ne changent rien en matière de recrutement et de pratique du ministère pastoral ni dans l’organisation des Églises.
    Deuxième précaution du texte : la communion ecclésiale ne pousse pas les Églises dans les bras les unes des autres, c’est-à-dire vers une union en termes de structure, et si celle-ci devait advenir, c’est en raison de sa pertinence dans un contexte particulier, parce que la cohérence du témoignage de ces Églises implique cette conséquence en matière d’organisation, et en prenant garde à ne pas perturber la vivante diversité des formes de vie et de témoignage des Églises concernées.  
  4. Les aspects œcuméniques : La communion ecclésiale n’est pas seulement une affirmation ou une forme d’ecclésialité supranationale luthéro-réformée. Elle est un engagement œcuménique, un modèle d’unité proposé par les Églises signataires aux autres Églises. Cette proposition s’adresse d’abord aux autres Églises protestantes (littéralement : « confessionnellement apparentées »), celles d’Europe qui ne l’ont pas encore signée et celles du monde entier, dans le cadre des institutions confessionnelles internationales (Fédération luthérienne mondiale et Alliance réformée mondiale). 
Ce modèle de communion ecclésiale basée sur un consensus fondamental sur une compréhension commune de l’Évangile et sur l’acceptation des différences qui ne contredisent pas celle-ci est aussi une proposition à l’œcuménisme de façon plus large, puisqu’il est en soi un nouveau modèle d’unité, que Harding Meyer qualifiera quelques années plus tard de « modèle d’unité dans la diversité réconciliée ».


jeudi 6 avril 2023

La Concorde de Leuenberg : se déclarer en communion ecclésiale


Il y a 50 ans, la Concorde de Leuenberg établissait la pleine communion ecclésiale entre un certain nombre d’Églises luthériennes et réformées en Europe (et quelques-unes en Amérique du Sud, liées historiquement à des Églises Européennes), posant les bases de ce qui est désormais la Communion d’Églises protestantes en Europe (CEPE).

Ce document comporte quatre parties :
1.    Dans le premier chapitre en forme d’introduction, la Concorde déroule et prend acte des discussions théologiques qui l’ont précédée depuis la Réforme, qui ont amené les protestants à assouplir leur rapport aux confessions de foi, et des entretiens doctrinaux des années précédentes qui ont établi que les églises participant à la discussion ont une compréhension commune de l’Évangile. Suivant l’ecclésiologie luthérienne comme réformée, l’Église est là où l’Évangile est fidèlement prêché et les sacrements droitement administrés (Confession d’Augsbourg 7, Institution de la Religion chrétienne de Calvin). Une compréhension commune de l’Évangile est donc la condition « nécessaire et suffisante » (notwendig und ausreichend) pour que des Églises luthériennes et réformées se déclarent en pleine communion et se reconnaissent mutuellement comme pleinement membre de l’unique Église du Christ. Cette condition est désormais remplie.

2.    Le deuxième chapitre présente un concentré de cette compréhension commune de l’Évangile. Elle se centre sur la justification par la foi, « message de la libre grâce de Dieu ». En quelques points, elle articule promesse au peuple élu, Jésus-Christ incarné, crucifié et ressuscité, eschatologie, conversion, service responsable, ancrage dans la continuité de l’Église ancienne. Elle aborde ensuite rapidement les éléments centraux de l’ecclésiologie protestante, centrée sur l’annonce de la Parole : prédication, baptême et cène.

3.    Le troisième chapitre « dépasse » les condamnations mutuelles entre les deux confessions. L’expression « lever les condamnations » parfois utilisée est impropre, puisque les Églises signataires reconnaissent plutôt que les condamnations du 16e siècle ne concernent plus ces Églises aujourd’hui, soit parce que leur doctrine a évolué (sur la prédestination, par exemple), soit parce qu’elles portaient en fait sur des malentendus, soit parce que les approches ou accents différents que l’autre utilise sont légitimes, le consensus sur ce thème étant plus important et plus fondamental que les différences qui subsistent (André Birmelé dit que le consensus fondamental « porte » les différences). Cette approche permet à la fois de prendre au sérieux l’enseignement des réformateurs (et donc les identités confessionnelles qui se sont construites dessus) mais aussi les résultats de la recherche théologique et à la fois de pouvoir dépasser ces condamnations mutuelles. Celles-ci portaient sur trois thématiques : la cène, la christologie et la prédestination.

4.    Le quatrième et dernier chapitre contient la déclaration de communion ecclésiale ainsi que des axes de développement pour sa réalisation. En effet, comme toute démarche œcuménique, la démarche d’établissement d’une communion ecclésiale se fait en plusieurs temps :

  1. Travail théologique préalable
  2. Réception institutionnelle : ici, la déclaration de communion ecclésiale (C'est donc le niveau où se place la Concorde de Leuenberg, qui est un document institutionnel, signé par chaque Église membre durant son synode ou dans le cadre de ses procédures de décisions propres)
  3. Réception ecclésiale, c'est-à-dire passage au crible du sensus fidei fidelium (ce discernement peut également résulter en une « non-réception » ou une réception partielle). Dans le cadre de l’établissement d’une communion ecclésiale comme ici, il s’agit de donner corps au lien nouveau qui lie les Églises signataires. Cette réception ecclésiale a donc une dimension ad intra, au sein même de la vie de ces Églises, et une dimension inter-ecclésiale.

Dans le prochain billet sur ce blog, nous parlerons des quatre axes proposés pour le développement de la communion ecclésiale et de ce processus de réception toujours en cours.