samedi 25 novembre 2017

Que peut-il sortir de bon de Nazareth ? (Partie 1)


En guise de Nativité, l’Évangile de Jean nous offre un prologue cosmologique : Jésus est situé dans le temps et dans l’espace, placé, en tant que Parole de Dieu incarnée, au centre de tout. Et pourtant, cette Parole de Dieu, cette lumière, « le monde ne l’a pas connue » (Jn 1.10).

Tout l’Évangile de Jean nous parle d’un défi que nous avons nous aussi à relever : reconnaitre et parler de la présence de Dieu dans un monde qui ne la reconnait pas. L’Évangile est paradoxal, il marie le visible et l’invisible, l’attendu et l’inattendu, parle d’un infini qui vient nous rencontrer dans la finitude. Et Jésus est la figure de ce paradoxe. Par exemple, lorsqu’on lui annonce que Jésus est la réalisation des promesses faites à son peuple, Nathanaël répond : « Que peut-il sortir de bon de Nazareth ? » (Jn 1.45-46).
Il y a toujours une tension entre les attentes et leur réalisation, entre la promesse et l’accomplissement. A l’époque des premiers disciples, la question se posait déjà : comment Jésus peut-il être le messie attendu ? L’évangéliste Jean n’utilise ni anges, ni mages, ni même bergers pour introduire le réalisateur de la promesse. Seul un prophète qui ne se reconnait pas comme tel (Jn 1.21) annonce qu’il vient, et lui fournit ses deux premiers disciples. Son cinquième disciple commence par lui opposer un préjugé : « Que peut-il sortir de bon de Nazareth ? » (Jn 1.45-46).

Des préjugés, Jésus en a eu aussi. Il a eu besoin de rencontres pour les dépasser (Mt 15.21-28,  Mc 7.24-30). Avoir des préjugés, c'est naturel, c'est le reflet de notre univers mental, de notre compréhension du monde, de nos habitudes, de nos méconnaissances, de nos peurs. Quand nous connaissons peu une culture, une personne, nous l’imaginons à partir de ce que nous en voyons, en savons. Cet imaginaire a priori est un préjugé, qu’il soit positif ou négatif. La vraie question est : est-ce que nous nous arrêtons là, et nous contentons de ça, de ce que nous pouvons voir de loin ou est-ce que nous sortons à la rencontre ? Et si l’autre se rapproche et vient vers nous, est-ce que nous tentons de l’accueillir ou est-ce que nous préférons le rejeter, le renvoyer, l’effacer de notre vie, voire de notre société ?
Dépasser nos préjugés et notre peur pour rencontrer l’autre, c’est prendre le risque de sortir de notre zone de confort, d’être confronté au déstabilisant, au dérangeant, au bizarre, aux préjugés de l’autre sur nous. C’est risquer de devoir se révéler à notre tour, dans nos réactions, nos paroles ou notre attitude. C’est risquer d’être confronté à des besoins, à des attentes, à des choix.
Mais cela est vrai aussi si l’on désire vraiment rencontrer Jésus à travers les Écritures… la Bible est écrite dans des langages que plus personne ne parle aujourd’hui sous la forme d'il y a 2000 ou 3000 ans (l’hébreu, l’araméen et le grec anciens), elle véhicule des univers textuels qui nous sont étrangers et chaque fois que nous cherchons à la faire rentrer dans nos codes, d’autres nous proposent d’autres interprétations. Et la Bible nous interpelle, nous demande de nous positionner, de nous remettre en question. 

Il est vrai que la Bible, on peut la refermer et la ranger dans l’étagère… Ou la transformer en objet d'étude à tenir à distance, à décortiquer, à analyser froidement. 

(la suite samedi prochain)
Claire Sixt Gateuille

Ce billet et le suivant ont été publié en un seul article dans le journal de l’Église protestante unie de Montpellier en décembre 2016. J'ai modifié ici trois tournures de phrases.

vendredi 17 novembre 2017

La lourdeur, le partage et la joie

“Venez auprès de moi, vous tous qui portez des charges très lourdes et qui êtes fatigues, et moi je vous donnerai le repos.” (Mt 11.28, traduction PdV)

Ce verset est le verset proposé par la liturgie anglicane pour les lundis ordinaires. Quand l’archidiacre Meurig Williams (le responsable général des paroisses anglicanes en France) m’a proposé de faire porter ma méditation sur ce verset (lors du temps de prière inaugural de la rencontre du comité de Suivi des Accords de Reuilly qui a eu lieu du 13 au 15 Novembre à Larne, au Nord de Belfast), je l’ai lu et me suis dit : « C’est étrange de choisir ce verset pour commencer la semaine, ce verset qui parle de la charge que nous portons tous d’une façon ou d’une autre. Comme si recommencer la semaine de travail était – devait être – difficile, dur, stressant. Comme si travailler était une charge lourde à porter… » 

Puis j’ai réfléchi à la perspective spirituelle que pouvait nous proposer ce verset pour « lire » nos vies. Deux idées me sont alors venues : 

1.    Est-ce que ce dont nous choisissons de nous charger vaut toujours la peine d’être porté ? En ce début de semaine, il est toujours bon de ce demander “cela en vaut-il la peine ? ». non pas, cela en vaut-il la peine en termes d’argent gagné ou de reconnaissance sociale, mais « cela en vaut-il la peine aux yeux de Dieu ? » c’est-à-dire en termes de justice, de dignité humaine, de proclamation de l’Evangile, de libération ? Cette question « cela en vaut-il la peine ? » met en lumière ce qui compte vraiment pour nous, nos motivations réelles, en particulier au travail ou dans ce que nous faisons… et en tant que chrétiens, si nous réalisons que nous faisons quelque chose pour de mauvaises raisons, cela vaudrait la peine de reconsidérer si nous devons le faire ou non…

2.    Est-ce que ce dont nous choisissons de nous charger vaut la peine d’être porté seul ? Souvent, quand nous nous sentons surchargés, c’est parce que nous n’avons pas voulu – ou pu – partager la charge avec d’autres. Mon expérience m’a enseigné qu’il y a des moments où l’on ne peut pas partager certaines choses, par exemple à cause du secret professionnel, et la prière devient alors essentielle, car nous pouvons toujours confier cela à Dieu. Mais la plupart du temps, quand j’ai eu l’impression d’arriver à saturation, d’être surchargée, c’est parce que je voulais garder le contrôle. Parfois par manque de confiance en moi ; parfois par manque de confiance dans les autres. Mais à chaque fois, j’avais oublié qu’il y a quelqu’un, plus haut, qui a le contrôle de la situation, quelqu’un sur qui je peux m’appuyer et qui m’appelle à compter sur d’autres personnes.

Nous oublions souvent de prendre au sérieux un verset qui est juste avant, en Mt 11.25. Jésus y remercie Dieu d’avoir fait connaître des choses aux petits (enfants) et de les avoir cachées aux sages et aux savants. Cela peut être interprété comme d’autres textes bibliques comme un appel à redevenir comme des enfants devant Dieu. Mais ce verset éclaire aussi le verset 28 : pour moi, c’est une invitation – non pas à réussir la performance spirituelle de redevenir un enfant mais – à nous charger uniquement de ce que nous pouvons porter, comme les parents invitent leurs enfants à le faire quand ils partent en randonnée… C’est une invitation à réaliser que chaque fois que nous sommes en situation de responsabilité ou de pouvoir, nous avons besoin des autres. Chaque fois que nous sommes en responsabilité, nous avons en fait deux responsabilités : celle de mener à bien ce dont nous sommes responsable, et celle de voir si nous ne pourrions pas partager avec quelqu’un d’autre une partie de cette responsabilité, lui montrer qu’il/elle est utile, qu’on a besoin de lui/elle, qu’il/elle a de la valeur et est reconnu-e comme un enfant de Dieu, qui fait sa part.

La plupart du temps, avec le partage, vient la joie. La bénédiction de la Joie !

Prenons donc la charge de notre travail à faire, et recevons la joie de le partager. C’est ce que je nous ai souhaité pour ces trois jours de réunion !
Le comité de Suivi des accords de Reuilly en plein travail

Claire Sixt Gateuille