jeudi 16 juillet 2015

Et si on remettait tout à plat ?

La devise de la réflexion sur la révision globale de l'UCC
C'est en tout cas la question que l’Église unie du Canada (UCC pour United Church of Canada) s'est posée pour faire face à la baisse de ses finances, mais aussi au constat que ses structures actuelles n'étaient plus adaptées à certaines réalités de l’Église. En 2012, le Conseil général (l'équivalent de notre synode national, mais qui n'a lieu que tous les 3 ans) a créé un groupe de travail, qui a auditionné de nombreuses Églises locales et initiatives nouvelles, a étudié la vision et la situation de l'UCC, a consulté les consistoires aux étapes intermédiaires de sa réflexion et a émis en mars dernier des recommandations, qui seront mises au vote au prochain Conseil général qui commence le 8 août prochain.

Je n'ai jamais visité cette Église-sœur, mais je lis avec intérêt la revue œcuménique francophone "Aujourd'hui Credo" qu'elle édite, et particulièrement les articles liés à cette "révision globale" dans laquelle l'UCC c'est engagée. Ne la connaissant pas bien, je ne tenterai pas ici une analyse de la nouvelle structure proposée en remplacement de l'ancienne, de ses avantages ou inconvénients, d'autant plus que je ne lis dans cette revue que le(s) point(s) de vue francophone(s), alors que l'UCC est majoritairement anglophone.

Ce qui m'intéresse, ce sont les questions de fond et les priorités qui émergent des recommandations (on peut trouver les documents ici, sur le site de l’Église unie du Canada). Une grande partie du document "recommandations" (qui fait 3 pages) porte sur la restructuration, mais il ne commence pas par cet aspect, et cela me semble essentiel. Le document commence par deux choses : une affirmation de confiance et un appel au discernement. 

Une affirmation de confiance
Le document commence par "Nous croyons que Dieu....". Il ne s'agit pas d'abord de changer des structures, mais de chercher la volonté de Dieu pour cette Église, dans son contexte. Cela permet d'envisager la restructuration sous un autre œil : non pas la fatalité de la réduction budgétaire, mais une plus grande souplesse, une structure plus légère qui permette plus d'innovation, une nouvelle liberté d'entreprendre.

L'idée est de se débarrasser des lourdeurs administratives, pas de toute administration ! Comme le dit Cathy Hamilton, membre du groupe de travail sur la révision globale : "Ce qu'il faut, c'est moins de contrôle, moins de supervision, moins de structures et plus de soutien. Tout le monde est d'accord que les communautés de foi sont les mieux placées pour faire la mission de Dieu dans leur voisinage, elles savent ce qu'elles doivent faire. Il faut donc leur donner plus de liberté et de souplesse." Et cette perspective est soutenue par la première recommandation, intitulée "Discerner l'Esprit".

Discerner l'Esprit
L'appel au discernement se fait de plusieurs manières :
- le discernement de Dieu à l’œuvre dans les évolutions qui touchent les Églises aujourd'hui. La modification du paysage ecclésial peut alors cesser d'être vu comme un échec des croyants, mais comme une opportunité de changement (j'ai entendu dire un jour qu'il n'y avait que deux choses qui permettaient de changer en profondeur : le désir et la contrainte), une chance que Dieu nous offre.
- le discernement des délégués par rapport aux recommandations proposées, qui seront soumises au vote lors du prochain Conseil général.
- le discernement des Églises locales pour qu'elles entendent l'appel de Dieu dans leur réalité locale. Cela peut être un appel à mettre de nouveaux ministères en œuvre, à essayer de nouvelles choses ou à alléger la structure pour ne pas passer son temps et son énergie à l'entretenir (bâtiments, organisation, activités, etc.). En gros, donner la priorité non à l'existant, mais à ce que Dieu leur faire émerger de nouveau et à la proclamation de l’Évangile.
- le discernement n'est pas que spirituel, il a aussi des conséquences très pratiques. C'est pour assumer ces conséquences qu'il est proposé d'investir chaque année à hauteur de 10% du fond Mission et service (qui couvre les mêmes missions que nos titres A+D : formation [laïcs et ministres], soutien aux ministères [idem], gouvernance, mission à l'international, engagement dans la société) pour la transformation et la création de ministères (nous dirions "de nouvelles formes d’Église", les ministères laïcs étant très souvent mentionnés dans les documents du groupe de travail, et le terme "ministère" étant utilisé plus souplement que dans l'EPUdF, où il désigne d'ordinaire les ministres du culte : pasteurs, aumôniers, etc.).

Permettre la représentation de l'informel dans le structurel
Jusqu'à présent, seules les paroisses structurées de manière traditionnelle (conseil de paroisse, pasteur, bâtiments, etc.) étaient représentées dans les instances consistoriales et nationales. Dans la nouvelle proposition, on ne parle plus de paroisses, mais de "communautés de foi". Ce qui veut dire qu'un groupe moins structuré mais se réunissant régulièrement (type "fresh expression" ou groupe de maison dans les lieux non desservis par des formes traditionnelles d’Église) pourra être représenté aux niveaux supérieurs, y compris lors du Conseil général (// synode national dans l'EPUdF). C'est une façon de faire entrer l’Église émergente et les nouvelles formes d’Église dans le processus de représentation et donc la synodalité de l’Église. Si cette disposition est adoptée et adaptée au Québec, il sera intéressant pour nous de voir comme elle marche et éventuellement nous en inspirer...

Un autre aspect du renforcement de l'informel est l'accent mis sur le travail en réseaux, par thèmes et par intérêts, en complément du réseau de proximité. Ce travail en réseaux ne serait pas (forcément) porté par les régions et serait plutôt un lieu de partage, d'innovations et de stimulation qu'une instance décisionnelle.

Les enjeux du multilinguisme
Le point de vue du Consistoire du Laurentien (francophone) était assez négatif à l'automne sur les premiers éléments sur lesquels il a été consulté. Certains changements ont été apportés depuis, mais il me semble que la grande question est celle de la représentation du courant francophone (ultraminoritaire dans l’Église), puisque les Églises francophones sont peu nombreuses et que la remise en cause du niveau consistorial risque de les pénaliser. D'autant que les communautés autochtones sont, elles, explicitement mentionnées dans le document qui insiste sur l'importance du travail fait avec elles.

On peut aussi voir dans cette résistance une peur d'y perdre en solidarité : les ministères en français ont besoin d'un soutien financier, et la révision pourrait apporter la baisse de ce soutien, car les communautés les plus petites n'ayant plus les moyens de payer leur pasteur seront invitées à s'organiser autrement pour se maintenir sans pasteur. Mais Cathy Hamilton rappelle que les paroisses francophones sont aussi des lieux d'innovation, des lieux où la transition se fait, et donc des lieux qui pourraient être soutenus par le fond Mission et service.

Mais il me semble que les tensions viennent en partie d'une question culturelle. La culture française (et en bonne partie la culture francophone) donne beaucoup d'importance aux concepts, aux structures et au contrôle collégial. Le mot "communauté" n'y résonne donc pas de la même façon qu'en contexte anglophone, qui lui base plus sa vie collective sur l'initiative individuelle, les affinités et les opportunités, la mentalité étant plus "pragmatique". Ce n'est pas pour rien qu'il est si difficile de traduire en français le terme "leadership" par exemple, comme il est difficile de traduire en anglais le terme "direction"... Or le projet présenté mise sur l'initiative individuelle et l'émergence de "leaders". Le canada francophone aura donc à faire le même effort de traduction culturelle que celui que nous sommes en train de faire en réfléchissant sur l'adaptation des fresh expressions en contexte français...

En tout cas, c'est une entreprise courageuse, nécessaire et nous pouvons en appeler à l'Esprit pour qu'il guide les délégués au Conseil général cet été lors des débats et des décisions et ensuite, les communautés pour la mise en œuvre des changements adoptés (idées de prière : ici).

Post-scriptum
Pendant que je parle de l’Église unie du Canada, je vous invite à faire un petit tour sur leur site pour y découvrir leur campagne Décolonisez vos achats, qui appelle les membres de l’Église à ne pas acheter de produits fabriqués dans les colonies de peuplement en Israël/Palestine et à en parler autour d'eux. Ils proposent aussi un argumentaire en vidéos.

Claire Sixt Gateuille

lundi 6 juillet 2015

Connaissez-vous Jan Hus ?

(c) BNF (site gallica.bnf.fr)
Traduire la Bible et prêcher dans la langue du peuple, combattre les indulgences, prêcher la réforme de l’Église et la séparation du spirituel et du temporel. Vous pensez que ces principes sont ceux de Martin Luther ? C'était déjà ceux de Jean Hus, "réformateur avant la Réforme", brûlé vif le 6 juillet 1415, soit il y a précisément 600 ans. 

Dans une époque troublée, qui voyait la papauté se diviser entre Rome et Avignon, et les prétendants au trône du saint empire romain germanique rivaliser de manœuvres politiques, Jan Hus, d'origine modeste devenu prédicateur à la chapelle de Bethléem à Prague, où la prédication se faisait en langue tchèque, puis recteur de l'université de Prague, n'hésita pas à défier autorités temporelles et ecclésiastiques au nom de sa lecture des saintes écritures.

Il avait étudié les écrits de John Wyclif (1331-1384), et adhérait aux souhaits de celui-ci de réorganiser l’Église et d'améliorer la moralité de ses serviteurs. Il critiquait en particulier l'accumulation de richesses par certains prélats. Il cherchait à faire de la Bible la source du comportement moral des gens (et non l'enseignement de l’Église), aussi voulait-il qu'elle fut accessible en langue du peuple, à tous.

L'opposition entre Jan Hus et l'Archevêque de Prague puis sa condamnation des indulgences papales aboutit à ce que Prague soit placée "sous interdit" (aucun sacrement ne pouvait y être pratiqué). Hus s'exila alors "à la campagne", où il prêcha et écrit beaucoup, en particulier son traité De ecclesia qui reprend ses principaux enseignements.

Il décida de se rendre au concile de Constance en 1414. On le somma de se rétracter, ce qu'il refusa. Il fut condamné pour hérésie et brûlé en le 6 juillet 1415. Sa mort provoqua une révolte en Tchéquie et son enseignement donna naissance à un mouvement dont sont issues l’Église hussite et l’Église évangélique des frères tchèques.

Jan Hus est aujourd'hui devenu une figure nationale en République tchèque, symbole de la souveraineté nationale et de la résistance aux puissances étrangères qui voudraient s'ingérer dans les affaires du pays. Mais au delà de cet aspect politique, son combat spirituel est peu mis en valeur dans un pays dont la population de non-croyants est l'une des plus importantes d'Europe (46% des personnes se déclarent non-croyantes). 

Aujourd'hui, Église Hussite et Église évangélique des Frères tchèques sont rassemblés à Prague pour commémorer ce martyre qui eut lieu il y a 600 ans.

Célébrations œcuméniques, musique, expositions, conférences historiques et théologiques, réceptions sont au programme, et pour les invités étrangers, un peu de tourisme (visite de la ville).

Claire Sixt Gateuille

mercredi 1 juillet 2015

Etre dans la main de Dieu

« Abaissez-vous donc sous la main puissante de Dieu, pour qu’il vous élève en temps voulu. Déchargez-vous sur lui de toutes vos inquiétudes, car il prend soin de vous. » 1 Pi 5.6-7

(c) Ecole St Joseph de Ploubalay
J’aime depuis longtemps cette expression « être dans la main de Dieu ». On trouve des références à la main de Dieu dans certains cantiques (Prends ma main dans la tienne, J’ai tout remis entre tes mains, Jésus, prends-moi par la main…), où elles évoquent la confiance, le « lâcher-prise », l’abandon de la préoccupation de soi pour se consacrer au chemin que Dieu trace devant nos pas, à la mission qu’il nous confie, à la vocation qu’il a fait naître en nous (vocation qui n’est pas forcément pastorale mais partagée par tous les chrétiens, avec des talents spécifiques confiés à chacun). Ces chants qui m’accompagnent depuis l’enfance sont certainement en partie responsables de la façon dont je me suis appropriée cette expression.

Mais je ne m’étais jamais posée la question de son origine biblique… Ayant besoin de prendre un peu plus de temps pour moi que prévu cette semaine, je me suis donc penchée sur cette expression de main de Dieu.
Dans le premier testament, on la trouve en Nombres 11, Esaïe 50 et 59 et Chroniques 29. Toutes ces références sont des références à la puissance ou au fait de pouvoir, à la capacité de Dieu, ainsi qu’au fait que tout nous vient de lui. Les deux premières apparaissent sous forme d’interrogation, la confiance du croyant est questionnée : « Ma main est-elle trop courte pour … » nourrir, libérer, sauver ? Et la troisième est la réponse à ces interrogations : « Non, la main du Seigneur n’est pas trop courte pour sauver » (Es 59.1).

Notre Dieu est un Dieu qui nous accompagne dans le doute, qui prend au sérieux tous nos questionnements, nos manques de confiance, et même notre révolte (on sent la colère de Moïse qui a l’impression d’être pris entre le marteau et l’enclume, entre le peuple qui gronde et Dieu qui tient ferme) et nous laisse le temps de les exprimer. Notre Dieu est un Dieu devant qui l’on peut pleurer, crier, ou se taire pour mieux digérer. Il ne nous demande pas d’être tout le temps dans la performance, même pas dans la performance spirituelle. Il se tient là, à nos côtés. Il interroge notre doute, mais nous donne l’espace pour l’exprimer, pour l’assumer et pouvoir ensuite le dépasser. Il prend en compte l’épaisseur et la complexité humaine.

(c) CSG
Le nouveau testament reste dans le registre du pouvoir dans ces deux sens (comme puissance et comme possibilité ouverte), la lettre aux Hébreux y rajoute une dimension de jugement (Hb 10.31), mais le passage qui offre une ouverture nouvelle (pour moi équivalente à la forme interrogative vue en Nb et Es) à l’image de la main de Dieu, c’est celui de 1 Pierre 5.6-7 (vous pouvez le relire en italique au début de ce billet). Le premier de ces deux versets est la référence classique à la main de Dieu comme signe, métaphore de sa puissance.

Mais la suite lui donne une coloration particulière : Cette affirmation de puissance n’est pas une invitation à chercher protection du côté du fort, du puissant comme dans un système féodal (où l’on finit par vouloir soit même en dominer d'autres, ce que le verset 3 réfute explicitement), ou comme nous avons tous tendance à le faire dans les situations complexes de conflit ou de rapports de forces. C’est une invitation à lâcher prise, à s’abandonner à Dieu, à lui faire confiance pour mieux vivre notre situation, quelle qu’elle soit, parce que Dieu en devient un acteur majeur – même invisible.

Être dans la main de Dieu, c’est lui confier la réussite (ou l’échec) de nos projets ; c’est ne pas compter sur nos propres forces, tout en sachant que Dieu compte sur nous... Être dans la main de Dieu, c’est lui confier toute notre vie, ce que nous faisons, mais aussi qui nous sommes et ce qui nous arrive, car il prend soin de nous. Une invitation à l’humilité, au lâcher prise et à la confiance….
Une belle façon d’entrer dans l’été, non ? 

Claire Sixt Gateuille