vendredi 28 novembre 2014

Projet Khi

Hier, Andy Buckler, mon collègue chargé de l'évangélisation et de la formation a réuni quelques personnes autour de lui, dont moi, pour présenter des outils développés par une petite équipe de l’Église suisse du canton de Vaud autour de l'évangélisation et des nouvelles formes d’Église, dans le cadre du Projet Khi.

Il nous a en particulier présenté deux outils complémentaires, l'un pour découvrir son positionnement individuel (selon si j'ai une attente plus ou moins forte de communautaire, plus ou moins forte de spirituel, plus ou moins forte d'entre-soi, plus ou moins forte d'ouverture...) et l'autre pour identifier les points forts et les marges de progression de l'Eglise locale. 

Le premier outil s'appuie sur les travaux de la sociologue Grace Davie en matière d'attentes religieuses, mais surtout sur les 4 modèles d'évangélisation que Christian Grappe a dégagés de sa lecture du Nouveau Testament. Il nous a semblé surtout intéressant à utiliser avec un conseil presbytéral, en deux temps, l'un plus individuel et l'autre collectif. Il permet en effet aux personnes de commencer à prendre conscience de leur positionnement individuel (pas seulement le fait d'être "dans"l’Église, mais aussi ce qui les motive dans leur participation à l’Église), et donc du modèle missionnaire qui leur parle le plus. On peut ensuite lancer la discussion par rapport aux forces vives qui sont là : les membres du conseil ont-elles toutes le même type de profil ? On pourra avoir alors une paroisse avec une identité assumée, un profil affirmé, en particulier dans les grandes villes où l'offre ecclésiale est plurielle. Les membres du conseil ont-ils des positionnements très différents ? Alors comment exploiter la richesse de cette diversité ? Peut-on proposer des activités différentes, menées par les personnes qui se sentent bien dans tel ou tel positionnement, pour toucher autour d'elles des personnes qui auraient le même type d'attente ?

Le deuxième outil a été développé à partir des 8 facteurs de croissance de l’Église identifiés dans le rapport "From Anecdote to Evidence" sur la croissance de l’Église, mené dans le cadre de l’Église d'Angleterre. C'est un jeu de cartes à destination des Églises, qui permet d'interroger sur parmi les domaines de la vie d'Eglise qui sont facteurs de croissance, quels sont ceux dans lesquels notre communauté est dynamique et ceux sur lesquels il faudrait focaliser ses efforts. A la suite des échanges autour de ces cartes, le groupe remplit un schéma en forme de toile d'araignée qui visualise les forces et les marges de progression de l’Église locale.

Bref, deux outils qui pourraient être intéressants pour nos conseils presbytéraux et pour les groupes qui se forment dans notre Eglise autour d'envie de faire de l’évangélisation et d'être une Eglise de témoins.

Vous trouverez plus d'informations sur les nouvelles formes d'évangélisation dans un livre collectif édité par Jérome Cottin et Elisabeth Parmentier, à paraître chez Labor et Fides au premier trimestre 2015.

Claire Sixt Gateuille

mardi 25 novembre 2014

Avec l'ACAT, prier en route vers Noël

L'ACAT, Action des chrétiens pour l'abolition de la torture et de la peine de mort, a eu 40 ans cette année. Discrètement mais sûrement, cette association mobilise signataires et donateurs pour soutenir des personnes torturées, enfermées sans jugement ou victimes de procès iniques, mais aussi familles de disparus et condamnés à morts. Ce combat, sans cesse à reprendre, est essentiel. En effet, aujourd'hui, la torture est pratiquée dans un pays sur deux (pour en savoir plus, lire le rapport Un Monde tortionnaire de cette année).

D'où l'impression parfois que l'action de l'ACAT est une goutte d'eau dans l'océan. Mais comme le dit son délégué général, Etienne de Linarès, "une seule personne libérée ou que l’on cesse de torturer justifie tous nos efforts. J’y crois vraiment. Parce que si l’on se met à la place de cette personne, le gain est tellement gigantesque que cela balaie tous nos échecs." (à lire dans 40 portraits d'acteurs engagés, publiés à l'occasion des 40 ans sur le site de l'ACAT France et sur papier).

Je suis adhérente à l'ACAT depuis plus de 10 ans et j'apprécie beaucoup que depuis quelques années, l'association ne communique pas seulement les nouveaux cas pour lesquels nous devons nous mobiliser, mais aussi les réussites, les actions qui ont porté du fruit. C'est le cas cette année avec la croix de l'avent. Cette croix, distribuée dans les communautés chrétiennes, invite à prier pour des personnes condamnées à mort ou torturées. Mais pour la première fois, le 4e dimanche, nous serons invités à nous réjouir de la libération d'un détenu ! 

Voici la présentation de Duane Buck, pour qui nous pouvons prier en ce premier dimanche de l'avent qui arrive :

"Duane Buck a 51 ans, il est dans le couloir de la mort du Texas depuis 17 ans. Comme six autres Afro-Américains jugés à la même période dans le compté de Harris, il a été condamné à mort sur la base de l'expertise d'un psychologue assurant que les Noirs étaient, par nature, plus enclins à la récidive. Le 15 septembre 2011, la Cour suprême des Etats-Unis a suspendu son exécution reconnaissant que le procès avait été entaché de discrimination raciale. Mais si les six autres condamnés ont obtenu une commutation de leur peine, Duane Buck s'est vu refuser toute nouvelle audience de révision en novembre 2013.

L'ACAT Soutient Duan Buck. Il fait partie des condamnés à mort aux Etats-Unis soutenus par le réseau ACAT de correspondance. En janvier 2014, l'ACAT a lancé une pétition en sa faveur". 

Claire Sixt Gateuille

vendredi 14 novembre 2014

Philosophie politique et vision de l’œcuménisme

Dans son article « Les deux universalismes », tiré du livre Pluralisme et démocratie, le philosophe et professeur de sciences politiques Michael Walzer tire de sa lecture de la Bible hébraïque la conviction que celle-ci présente deux formes différentes d'universalisme. 

Le premier universalisme, que je qualifierais de centralisateur, est centré sur l'unicité : un seul Dieu, donc une seule loi, une seule conception de la justice et de la vie "bonne". Walzer l'appelle "l'universalisme de surplomb" car l'expérience du peuple choisi par Dieu y est décisive et le place symboliquement en surplomb par rapport aux autres ; elle est l'étalon de ce qui compte, le prisme à travers lequel évaluer toutes les autres expériences. La libération d'Egypte est alors la référence absolue, le pivot de l'histoire universelle, l'événement de salut non seulement pour le peuple hébreu, mais pour tous les autres peuples qui en bénéficient par contre-coup. De même, la loi juive est loi surplombante, exemple le plus haut de la morale à suivre et filtre pour évaluer la morale des autres peuples.

Cet universalisme a été ensuite adopté par le christianisme qui a fait de la résurrection de Jésus l'événement de salut pour tous les peuples et tous les temps. Il entraine une confiance - parfois excessive - de la part du peuple "élu" car il est lié à l'idée de triomphe, même si c'est le triomphe de Dieu qui est mis en avant. Cette vision de l'universalisme a également engendré l'idée de mission, en particulier dans sa coloration colonialiste, pour propager sa vision du salut et de la morale. 

A cet universalisme s'oppose "l'universalisme réitératif", également présent dans la Bible hébraïque, surtout chez certains prophètes qui considèrent que Dieu offre une expérience de libération particulière à chaque peuple (par exemple Amos 9.7b : "je vous ai fait sortir d'Egypte, mais j'ai aussi fait sortir les Philistins de Kaftor et les Syriens de Quir"). Cet universalisme n'est pas un relativisme (sinon il n'y aurait plus de dimension universelle mais seulement des situations particulières, alors qu'ici, Dieu et sa démarche de libération sont communs et représentent la dimension universelle). Il prend en compte la spécificité de l'histoire et de l'expérience de chaque peuple. La libération par Dieu est alors un événement exemplaire pour tous, mais celle d'Israël est le "pivot d'une histoire particulière seulement, qu'un autre peuple peut répéter [...] d'une façon qui lui soit propre" (p.88). Toutes les histoires, toutes les expériences ont alors une valeur. Dieu établit une alliance et offre une bénédiction spécifique à chaque nation. 

Michael Walzer (c) Ted Benson
Walzer transpose ensuite cette distinction entre les deux universalismes aux sciences politiques. Dans le premier cas, l'expérience du peuple dominant sera l'étalon pour évaluer l'expérience des autres peuples (j'apprécie les autres plus ou moins selon qu'ils me ressemblent plus ou moins, réagissent plus ou moins comme moi, etc.). Dans le deuxième cas, on choisira de défendre l'autodétermination, même dans les cas où l'on pense que les autres peuples font les mauvais choix (j'accepte que les autres aient une autre démarche que moi, une autre vision du bien, etc.), tout en restant en dialogue avec eux et en choisissant d'intervenir en cas de mise en danger de la vie de certains ou de leur liberté (forme d'ingérence). Cette deuxième attitude est un universalisme et non un relativisme car tous les peuples ont en commun de reconnaître la valeur de la démarche morale des autres, mêmes quand elle ne leur semble pas aussi bonne que la leur. Le dialogue permet aux peuples de s'interpeller réciproquement et est un autre moyen de ne pas tomber dans le relativisme.

Cet universalisme réitératif pose les questions "existe-t-il une éthique universelle ? Un seul ordre social juste ?". Walzer répond que l'on peut éventuellement fixer des principes universels, une "loi surplombante" mais que celle-ci est très abstraite, c'est une élaboration théorique. Or l'important pour les êtres humains n'est pas d'abord la théorie mais sa mise en œuvre concrète, en contexte. Or la justice, l'éthique, etc. sont des réalités qui dépendent de la mise en pratique de grands principes dans une culture et un contexte donnés. La justice est donc elle-même une réalité réitérée, c'est à dire qui s'incarne différemment dans chaque contexte. La justice et l'idée du bien dans une culture donnée sont toujours à retravailler car elles peuvent devenir obsolète ou inadéquate pour leur contexte. Du coup, "La réitération est une activité continuelle et exigeante". 

Cette vision de la science politique fait écho en moi à la démarche de contextualisation en théologie... et donc à la démarche des nouvelles formes d’Église (fresh expressions)... Je trouve cette idée d'universalisme réitératif très riche.

Mais il est également intéressant d'utiliser cette approche et ces deux conceptions de l'universalisme pour analyser la démarche œcuménique du Conseil Œcuménique des Églises (COE) : aux débuts de ce qu'on appelle le mouvement œcuménique, il y a le "rêve d'une Église unie" (expression de Marlin VanElderen dans Le COE, Aujourd'hui et demain, p.21). Certains ont interprété ce rêve comme l'idée que l’Église universelle devait s'incarner en une "super-Eglise" mondiale. Mais face à ce fantasme, les Églises ont affirmé fortement leur identité et leur logique propres, parfois au risque de donner l'impression d'un ralentissement de l'oecuménisme ou d'un affadissement du désir d'unité.

Aujourd'hui encore, les dialogues œcuméniques multilatéraux sont traversés par une tension (souvent féconde) entre deux visions de l'unité : l'une plus centralisatrice, cherchant des critères de discernement commun et souhaitant un ministère primatial personnel (même si c'est sous une forme collégiale et avec pour seul mandat de manifester et promouvoir l'unité, voir les points 56-57 du document l'Eglise, vers une vision commune), et l'autre basée sur la reconnaissance mutuelle des Églises. Au risque d'être caricatural, on pourrait dire que la démarche centralisatrice correspond, en terme de politique ecclésiale à un universalisme de surplomb dans l'approche de l'universalité de l’Église, et la démarche de reconnaissance mutuelle à un universalisme de réitération.

Comme en politique, si l'on choisit d'interpréter l'universalité de l’Église comme une universalité réitérative, le défi est de ne pas glisser de l'universalité réitérative au relativisme et à l'indifférence. D'où l'importance de poursuivre les dialogues engagés. Mais cette vision me semble prendre en compte de manière bien plus pertinente la dimension dynamique de la réalité des Églises, qui ne sont pas des réalités figées, et l'idée que la pluralité est une richesse (même si la pluralité peut aussi être valorisée en interne).
Claire Sixt Gateuille

vendredi 7 novembre 2014

Transhumanisme, être et développement des potentialités

Suite à un vœu du synode national de Lyon en 2013, l’Église protestante unie de France a fait paraitre un dossier sur le sujet du transhumanisme dans sa revue Information-Evangélisation de mai 2014. Mais notre Église n’est pas la seule à se pencher sur la question. La Conférence des Églises européennes (KEK) a édité en 2012 une brochure de près de 300 pages (en anglais), intitulée Human Enhancement (amélioration de l’être humain en Français), sur le sujet, abordant différents points de vue : celui des institutions, celui de la science et de la médecine, celui de l’éthique et de la théologie.

Cet été, j’ai eu la chance d’assister au synode des Eglises vaudoise et méthodiste d'Italie, où le texte « Ragioni e limiti del potenziamento umano ; Riflessioni sul ruolo sociale delle biotecnologie » de la commission de bioéthique commune aux Églises vaudoise, méthodiste et baptiste, a été présenté (en français, Raisons et limites de l’amélioration humaine ; réflexion sur le rôle social des biotechnologies). Ce texte en trois parties commence par présenter les différentes dimensions vers lesquelles se développe cette « amélioration », du traitement des maladies aux capacités mémorielles en passant par l’aspect esthétique et l’allongement de la durée de vie. Il présente ensuite les débats éthiques, philosophiques et anthropologiques qu’elle soulève et finit par donner quelques pistes théologiques, spirituelles et éthiques.

Voici les grandes idées de la 3e partie, qui me semble bien résumer les enjeux :
- La question du potenziamento umano interroge la théologie et en particulier la vision de l’être humain (anthropologie) dans une perspective chrétienne. Elle ne peut pas se traiter une fois pour toute avec des grands principes mais nécessite une attention constante au contexte et des réponses toujours circonstanciées. Elle demande une vigilance critique de la part des Églises et une réflexion éthico-philosophique capable d’offrir des éléments de sens, des critères d’analyse au croyant confronté à ces questions.

- La principale problématique concernant cette question au regard du christianisme est la place de la finitude dans la conception de la vie (imperfection, maladie, mort). L’imperfection et la finitude sont des marques de l’être humain, mais aussi de toute réalité créée (la création). Il faut donc distinguer entre le désir légitime d’une amélioration des conditions de vie et la recherche questionnable d’un idéale de perfection humaine.

- Offrir un meilleur bien-être, promouvoir la vie et la santé sur terre est intéressant et louable et les Églises ne devraient pas en avoir peur. Promouvoir un être humain qui serait pleinement « accompli » donc parfait, c’est au contraire offrir un autre salut, un nouveau sens à l’existence humaine, et les Églises doivent dénoncer l’ambiguïté de ce genre d’attitude.

- La foi chrétienne est elle-même proposition d’une amélioration de la vie humaine, non pas par des moyens techniques mais comme offre de vie en plénitude (la « vie éternelle »).

- La Bible propose une vision unifiée de l’être humain, et non pas une vision fractionnée entre corps, âme et esprit ni en différentes parties du corps, différentes capacités ou différentes sphères de relations. La Bible interpelle donc le transhumanisme au même titre que tout autre « mode d’être dans le monde ».

- Pour le christianisme, ce qui « améliore » l’être humain (le terme italien de potenziamento évoque l’épanouissement du potentiel), c’est l’œuvre de l’Esprit Saint. Celui-ci donne « puissance » aux disciples (voir le livre des Actes). Mais ce don se fait dans une double perspective : d’abord l’Esprit saint ne favorise pas les privilégiés, mais les défavorisés ; ensuite, ce don vise au bien commun. Cela interroge la tendance des nouvelles technologies à favoriser toujours ceux qui peuvent se les offrir, accroissant ainsi les inégalités. Mais aussi les priorités fixées en matière d’allocation de ressources à la recherche. Les prophètes de l’ancien testament se levaient déjà contre une gestion contestable des ressources disponibles, les Églises doivent critiquer la tendance (du transhumanisme et des politiques de financement de la recherche en général) à avantager les privilégiés et à nier aux autres l’opportunité d’en bénéficier.

- La créativité humaine est une bénédiction, elle est le signe que l’être humain est créé à l’image de Dieu. Mais elle doit se rappeler qu’elle est « créativité créée » et non « créativité originelle ». Aussi doit-elle prendre en compte l’aspect de finitude inhérente à toute vie créée. La mission de la théologie est donc d’interroger de façon critique les idéologies qui traversent le transhumanisme et la recherche dans ces domaines pour dénoncer le glissement de l’homo faber à l’homo fabricatus et la prétention à passer de créature créative à créature toute-puissante (que l’on retrouve dans la problématique du péché) et ses effets néfastes pour l’humanité.

- La volonté de s’améliorer doit toujours s’articuler avec la volonté de prendre conscience de ses propres contradictions (le texte fait ici référence au philosophe Michaël Sandel). La bénédiction ne peut se recevoir que dans ce cadre, cette tension (que Luther exprime autrement par « à la fois juste et pécheur » ou Calvin avec son 3e usage de la loi qui n’existe qu’articulé aux deux premiers, NdB). Les règles sociales, le débat public, le droit sont là pour apporter cette contradiction à la volonté de puissance et au rappel de la contingence. L’Église a un rôle à jouer pour apporter cette contradiction.



Pour l’anecdote – mais pas seulement – il est intéressant de voir les termes que les différentes langues ont choisis : l’anglais, avec son Human Enhancement, affirme clairement une amélioration, une augmentation, une valeur ajoutée ; l’italien, avec son potenziamento umano, qui évoque le renforcement, le développement et/ou l’amélioration de l’humain, lui emboite le pas. Le français, avec le terme de « transhumanisme », est beaucoup plus circonspect, même si certains lui préfèrent l’expression « humanité augmentée », calquée sur l’anglais et qui insiste sur l'humanité !


Claire Sixt Gateuille