mercredi 27 janvier 2016

Bouvier, Kapu et quelques autres...

Mes proches savent que j'ai une tendance biblivore - à dévorer des livres - et bibliophile...
Parmi les auteurs qui ont nourri mon imaginaire et donné envie de m'occuper de relations internationales, deux grands écrivains voyageurs : Nicolas Bouvier et Ryszard Kapuczinski. Cette envie s'est aussi nourrie des carnets de voyages de dessinateurs ou d'aquarellistes que j'apprécie, voire des livres illustrés sur l'architecture ou d'Aquarelles comme ceux de Fabrice Moireau.

Mais parlons aujourd'hui des écrivains. Nicolas Bouvier, intellectuel et artiste suisse, a su développer son œuvre autour de toute une gamme de perspectives, de la plus large - la découverte d'autres contextes, dont l'étrangeté nous heurte ou nous fascine - à la plus intime, le vrai voyage étant celui que l'on fait à la découverte de soi-même.

Un petit extrait de l'Usage du monde, où Bouvier parle des images d'Issa (Jésus) que l'on trouve dans les bazars afghans, et de ce que ce personnage représente dans la culture afghane. Il nous fait ici mesurer l'écart culturel : "C'était un doux, Issa, égaré dans un monde dur, avec la police contre Lui, et pour compagnons, des lièvres bons à s'endormir, à trahir ou à détaler devant les torches des soldats. Trop doux peut-être, ici où faire le bien aux méchants c'est comme faire le mal aux bons, il y a des mansuétudes qu'on ne peut pas comprendre. Cette façon par exemple de désarmer Pierre au Jardin des Oliviers, voilà qui passe l'entendement. Peut-être un fils de Dieu peut-il pousser aussi loin la clémence, mais certes Pierre, qui n'était qu'un homme, aurait dû faire la sourde oreille. Avec quelques Pathans à Gethsémani, la police n'aurait pas emporté l'affaire, ni Judas ses trente deniers." (Nicolas Bouvier, Oeuvres, Paris : Gallimard, p.372-373).

Et un autre, de Chronique japonaise, où Bouvier raconte le séjour de 4 mois qu'il a fait dans un temple bouddhique, non pour s'initier à cette religion mais parce qu'il y a trouvé un logement à louer. Un beau témoignage du fait que l'ailleurs nous enseigne surtout sur nous-même : "Je n'ai pas été bien studieux : ce que je sais du Zen aujourd'hui me permet tout juste de mesurer à quel point j'en manque, et combien ce manque est douloureux. Je me console en me disant que, dans le vieux Zen chinois, c'était la tradition de préférer, pour succéder au maître, le jardinier qui ne savait rien au prieur qui en savait trop.
J'ai conservé toutes mes chances intactes."(Nicolas Bouvier, Oeuvres, Paris : Gallimard, p.603-604).

Ryszard Kapuczinski, journaliste et écrivain polonais, avait quant à lui l'art de se mettre au ras des gens, à leur niveau, de leur être attentif et d'adopter leur rythme, que ce soit en Pologne sous le communisme, en Afrique ou en Amérique centrale. Il me donne l'impression d'avoir toujours une grande tendresse pour celles et ceux dont il parle. Témoin de l'absurdité des guerres et de l'humanité des plus humbles, il retravaillait parfois ces reportages pour en faire de vraies œuvres littéraires, recherchant la vérité intime plus que la vérité historique ou objective.

Je vous livre ici un petit extrait de la Guerre du Foot, qui médite sur ce mot de "guerre" que l'on utilise parfois à tort et à travers aujourd'hui :"La guerre a blessé tout le monde, et ceux qui ont survecu ne peuvent pas s'en remettre. L'homme qui a vécu une guerre est différent de celui qui n'en a jamais vécu. Ce sont deux espèces humaines différentes. Jamais ils ne trouveront un langage commun car on ne peut pas vraiment décrire la guerre, on ne peut pas la partager, on ne peut pas dire à quelqu'un : "prends un peu de ma guerre."
Chacun doit vivre jusqu'au bout avec sa propre guerre. (...) Je tiens à souligner la chose suivante : le propre de la guerre est de prendre sous ses ailes noires tout le monde sans exception. Personne ne peut rester de côté, personne ne peut rester assis devant son café quand il faut passer à l'assaut" (Ryszard Kapuczinski, Oeuvres, Paris : Flammarion, p.243-244.)

Si vous ne connaissez pas ces deux auteurs, je ne peux que vous encourager à les découvrir...

Claire Sixt Gateuille

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