jeudi 13 septembre 2018

Une bonne nouvelle

Parmi les commissions du Conseil œcuménique des Églises (COE), il y a la Commission Mission et Évangélisation (CWME en anglais). C'est cette commission qui a organisé la conférence missionnaire mondiale à Arusha en mars 2018 (voir les billets sur cette conférence). 

Risto Jukko et Claire Sixt-Gateuille en 2016 (c) D.Cassou
Le directeur de cette commission va bientôt changer. Et nous avons eu la joie d'apprendre que le prochain directeur sera le pasteur Risto Jukko, de l’Église évangélique luthérienne de Finlande. Le pasteur Jukko connait bien notre Église, car il a été pasteur missionnaire à Paris (dans l'EELF) et a donné des cours à la faculté de théologie protestante de Paris. Il représentait son Église lors de la consultation que l’Église protestante unie de France a organisé dans le cadre de son travail sur sa nouvelle déclaration de foi en juin 2016. 

Dans le communiqué de son Église à la suite de l'annonce de sa nomination, il est dit que (je traduis) : "le Dr Jukko souligne l'importance du soutien du CWME aux Églises en Afrique, Asie et Amérique du Sud, parce que ces continents accueillent une nette majorité - une proportion toujours croissante - de chrétiens. Les questions de mission, d'évangélisation et d'unité sont toutefois aussi importantes en Europe et en Amérique du Nord, aussi ces Églises doivent également être soutenues." 

Une lecture rapide de ce paragraphe peut faire penser à une déclaration creuse où l'on essaie de n'oublier personne... Mais il y a là un réel enjeu pour qui sait décrypter la situation. Gwenaël Boulet, qui représentait notre Église à Arusha en mars 2018, est revenue avec un sentiment mitigé. La mission telle que comprise et vécue - ou tentée d'être vécue - dans les pays du "Sud global" y était affirmée, célébrée, promue, sans qu'une distance critique minimum soit toujours appliquée. Cette mission répond aux besoins de populations en mode "survie". Elle s'appuie également sur la formation et le développement des capacités (le "empowerment" anglais ou "capacitacão" portugais intraduisibles en français) pour développer le potentiel des personnes et fournir un levier de libération. Mais elle ne se pose jamais la question de la spiritualité, puisque la croyance est une sorte d'évidence.

La "théologie de la Vie" proclamée et répétée à l'envie au Conseil œcuménique des Églises est une forme de théologie de la libération qui se serait un peu allégée de sa charge politique mais n'aurait pas vraiment fait le bilan de ses 60 premières années. Par exemple, une des failles de la théologie de la libération a été la transmission, en particulier dans la version européenne de cette théologie. Nombreux sont les enfants des communautés croyantes ayant prôné la théologie de la libération qui sont engagés dans la société mais ne sont plus croyants... Mais cela n'est apparu nulle part dans les discours, sauf dans la seule intervention européenne de la conférence, qui fut une charge contre les Lumières... L'ensemble donnait une impression d'exhortation en mode "le Sud réussira là où le Nord a échoué"... 

De la mission depuis les marges, dont l'idée est qu'il n'y ait plus de marges, on passe au renversement des marges et du centre, où ce(ux) qui étai(en)t au centre se retrouve(nt) exclu(s), rejeté(s) à la marge. Parmi les lapsus révélateurs (ou était-ce délibéré ? Dans ce cas aucune explicitation n'en a été fait, aucune pédagogie n'a accompagné ce choix), lors de la soirée où les participants devaient se regrouper par continent, les organisateurs avaient tout simplement oublié de mettre une table pour l'Europe... 

Conférence missionnaire Arusha 2018 (c) Albin Hillert/COE
L'Europe et l'Amérique du Nord affrontent aujourd'hui une situation de déchristianisation sans précédent. Devrons-nous l'affronter seuls dans notre coin, sans oreille amicale pour écouter nos questionnements, sans partenaire de dialogue pour nous aider à penser la situation ? Je peux entendre ceux qui critiquent les Lumières comme le pivot qui a fragilisé le poids de la foi dans la vie de la société, et donc du croyant. Je peux envisager que certains puissent lutter contre ce type de tournant philosophique pour leur propre culture, dans leur propre contexte.

Mais aujourd'hui, à part une ultra-minorité, plus personne en Europe ne souhaite revenir sur l'héritage des Lumières. Nous avons donc besoin de personnes pour nous aider à penser, non pas la sortie des Lumières, mais comment contextualiser à nouveaux frais l’Évangile dans notre culture marquée par les lumières (l'individu, les droits humains, l'altérité, etc.). Et le fait que le nouveau directeur de CWME vienne d'Europe permettra - je l'espère - que nous nous sentions moins seuls, moins rejetés à la marge, dans notre tentative de redire pour aujourd'hui l’Évangile dans nos sociétés. 

Claire Sixt Gateuille