jeudi 25 juin 2015

Lire Luther ?

Il ne vous aura sans doute pas échappé que 2017 et les 500 ans de la Réforme se profilent à l'horizon. 1517, c'est la date de publication des 95 thèses de Martin Luther contre les indulgences. Suivant les lieux dans le monde et les sensibilités théologiques, ces 500 ans insistent plus sur Luther en particulier, comme l'initiateur d'un mouvement, ou sur la Réforme en général. 

L'Institut œcuménique de Strasbourg a lancé une initiative pour inviter les gens à lire les écrits de Luther : le Luther Reading Challenge. l'Institut met en ligne, environ tous les 15 jours, un extrait d'un écrit de Luther, avec la possibilité pour les lecteurs de commenter cet extrait, de poser des questions, d'entrer en discussion. Pour lire les textes et participer, il faut s'inscrire en ligne (c'est gratuit). Et si l'on a pas eu le temps de lire un texte la quinzaine précédente, pas de panique, la plupart peuvent être encore lu et discuté pendant plusieurs semaines, voire jusque fin 2017... La limite pour nous francophones est que le site et les textes sont en anglais.

Cela dit, si comme moi, vous êtes tentés par le fait d'être stimulés régulièrement, invités à lire Luther (que vous avez en 14 volumes dans votre bibliothèque mais dont vous n'avez lu qu'un quart...) dans la perspective des festivités de 2017, que vous vous débrouillez en anglais mais que vous n'êtes pas vraiment tentés de lire Luther dans cette langue (après tout, il écrivait en haut-allemand, lui...), cela vaut le coup de s'inscrire sur le site, pour recevoir la newsletter et être informé des textes mis en ligne, puis de lire les textes mis en ligne dans la version que vous avez en français, et d'aller voir ensuite les discussions en anglais sur le site...

Pour rappel, on trouve les œuvres de Luther en français dans deux collections : 
- la première et plus ancienne est "oeuvres choisies" de Luther chez Labor et Fides (actuellement 18 volumes, les textes actuels lus par LRC sont dans les volumes 1, 2 et 8). cet éditeur a pour projet de rééditer en 2015 les écrits polémiques de Luther.
- la deuxième, dont seul le 1er tome est paru à ce jour sous la direction de Marc Lienhard et Matthieu Arnold, est celle des "oeuvres" de Luther chez la Bibliothèque de la Pléiade. Les textes actuellement lus par le Luther Reading Challenge s'y trouvent tous.

On peut trouver aussi à lire certains écrits Martin Luther en éditions de poche : 
- Martin Luther, Les grands Ecrits réformateurs, Flammarion
- Martin Luther, De la Liberté du chrétien, suivi de Préfaces de la Bible, édition bilingue, Point Seuil
Bonne lecture ! 

Claire Sixt Gateuille

mercredi 17 juin 2015

Quelle contextualisation de l'Evangile ici et maintenant ?

Méditation sur le texte biblique de l’Évangile de Matthieu 15 versets 21 à 28, prononcée lors du conseil du Défap du 13 juin 2015.

Un point de vue choquant
(c) Cevaa
J’ai beau travailler ce texte depuis mes études de théologie, très exactement depuis 1999, je le trouve toujours aussi intéressant, d’autant qu’il résonne très fort avec un livre du philosophe Michael Walzer que je suis en train de travailler, Morale maximale, morale minimale. On y découvre un Jésus susceptible de changement, de conversion. Pourtant l’Évangile de Matthieu s’appuie fortement sur l’héritage juif, la fidélité à la tradition ; il pourrait avoir une vision conservatrice de Jésus qui n’est pas venu abolir, mais accomplir la loi (Mt 5.17). Mais Matthieu appelle d’abord à un changement de regard au cœur même de cette tradition.

Avec ce texte, nous sommes donc dans une région « païenne », hors du territoire juif ; une femme, païenne elle aussi, vient lui demander de guérir sa fille. Et nous découvrons un Jésus qui lui refuse cette guérison, parce que qu’elle ne fait pas partie de son « projet missionnaire » => Il n’a été envoyé qu’aux brebis perdues de la maison d’Israël.

Ce texte est choquant, parce que pour nous, l’universalisme du ministère de Jésus est quelque chose d’acquis, d’évident… Or ce texte nous montre bien que ça ne l’est pas ! Ce texte nous montre que pour Jésus, ce qui est évident, c’est son ancrage dans une culture et un contexte donné, et qu’il lui faut la rencontre, et une vraie rencontre, pas seulement un échange poli, avec cette femme étrangère pour changer de perspective sur son ministère. Grâce à elle, il va « développer pleinement ses potentialités », pour reprendre un langage d’aujourd’hui !

Madang à Busan, AG 2013 (c) Joanna Linden-Montes/COE
Choquant d’entendre Jésus comparer cette femme à un chien… et choquant qu’elle accepte d’entrer elle aussi dans cette logique ! Mais c’est en entrant dans sa logique qu’elle va pouvoir la faire bouger de l’intérieur. C’est en entrant dans la logique de Jésus, ou au moins en la respectant, qu’elle va lui permettre de l’ouvrir, car il n’a plus à choisir : ce n’est plus une « mission auprès des juifs » versus « mission auprès des païens », c’est « mission auprès des juifs, donc des païens » parce que les seconds bénéficient de la mission auprès des premiers. Le périmètre d’action de Jésus ne change pas, ce n’est pas un élargissement qui l’amènerait à une dilution de son ministère mais un changement de perspective, qui fait de la mission auprès des païens la conséquence logique, l’effet collatéral – bénéfique – de la mission auprès des juifs.

Pour Jésus, l’universalisme n’était pas évident, il va le devenir parce qu’il va pouvoir s’intégrer dans la logique première de Jésus, et petit à petit la travailler de l’intérieur pour l’élargir, et l’amener à dire « Allez, faites de toutes les nations mes disciples » (Mt 28.19).

Et nous ?
Et si, dans notre approche de la mission, nous croyions trop souvent que l’universalisme est quelque chose d’évident, alors qu’en fait, ça ne l’est pas ?

Au début de toute rencontre interculturelle chez les anglo-saxons, il y a un temps d’animation pour nous aider à détricoter nos préjugés des uns sur les autres ; je l’ai rarement vu en France… Comme si nous n’avions pas de préjugés, comme si l’universalité était « naturelle » pour nous… Et soyons francs, nous le peuple des « droits de l’homme », nous pensons être aussi universels que ces fameux droits, avoir une façon de penser le monde qui, parce qu’elle est très rationnelle, serait universelle – ou facilement universalisable. C’est une idée généreuse, tournée vers les autres, mais finalement, cela nous fait viser trop haut, et rater notre cible.

« Rater notre cible », ça vous dit quelque chose ? C’est un des sens du mot "péché" en hébreu…
Comment l'évangile rencontre-t-il la culture ? (c) P Williams/COE
Cela nous fait viser trop haut parce que cela fait de l’universalité une idée, un concept abstrait, quelque chose d’éthéré, détaché de l’expérience, l’expérience que je vis lors de chaque rencontre avec quelqu’un d’un autre pays, d’une autre culture. Et si nous nous ancrions un peu plus, si nous gardions les pieds sur terre pour mieux penser en contexte, notre contexte ? C’est-à-dire à faire de la contextualisation, ici au Défap, travailler sur les interactions entre l’Évangile et la culture en France.

Nous avons tendance à penser la mission, notre mission d’Églises, comme Jésus au début : il y a nous et eux. Il y a la mission que nous essayons parfois timidement, toujours en tâtonnant, de mener ici, en Églises, et il y a la mission que nous soutenons au loin. Et ça, c’est la spécialité du Défap – et des autres agences missionnaires. Et nous, membres du conseil, ne savons pas très bien quelle moitié de nous-même laisser parler : celle de notre Église ou celle du Défap…

Et pour nos Églises, la mission, c’est le Défap (ou d’autres)… Elles ne sont pas égoïstes, elles visent l’universel – même s’il est abstrait – donc elles soutiennent, symboliquement, en finançant, parfois en envoyant des gens. Mais ça reste l’affaire de spécialistes…

Contextualisation
Nous avons bien besoin aujourd’hui de repenser la mission en contexte, dans notre propre contexte. Nous avons besoin de redévelopper une missiologie pour aujourd’hui, pour ici. Des individus s’y attèlent, nos Églises fondatrices commencent à s’y atteler, il me parait dommage que le Défap ne se place pas au cœur de cette réflexion, lui qui a une telle histoire, une telle « réserve de sens »  dans ce domaine. Nous avons besoin de recommencer à faire de la missiologie, pas seulement de « l’interculturel » ou de la « solidarité internationale ». Pour nous aider, pour aider nos Églises à voir que la mission ailleurs, c’est la même mission que la mission ici, même si elle n’est pas vécue de la même façon parce qu’elle ne s’inscrit pas dans le même contexte. Pour aider nos Églises à apprendre à apprendre des autres.

Soirée finale de l'AG Cevaa 2014 (c) CSG
Et je crois que cela nous aiderait aussi dans nos relations avec la Cevaa, avec les autres Églises que nous rencontrons et soutenons, parce que nous pourrons alors reconnaitre que nous avons aussi des choses à apprendre de ce qu’ils font, de la logique missionnaire qu’ils ont. Pas seulement les soutenir là-bas, mais il inviter ici, à partager notre réflexion et nos expérimentations dans notre contexte.

Porter un regard innocent
Cette femme cananéenne est très fine, elle arrive à entrer dans la logique de Jésus pour la déplacer de l’intérieur. Cela nous est parfois donné dans notre rencontre avec l’autre, dans nos échanges. Mais c’est difficile et suppose de connaitre un certain nombre de choses de sa culture tout en gardant une fraicheur de regard.

Il existe un autre processus qui peut entrer en jeu dans nos rencontres avec un chrétien venu d’ailleurs et qui pourra le faire bouger, ou me faire bouger, changer les perspectives de l’un ou de l’autre – peut-être des deux – c’est ce que le psychologue Jean Nimylowycz la « magie de la méconnaissance ». Lorsque l’on rencontre quelqu’un, à condition de ne pas avoir trop d’idées préconçues, il peut arriver que le regard innocent que l’on porte sur lui (ou elle) l’aide à entre voir qu’il est autre – ou plus – que ce qu’il pensait être au départ. Ou qu’on l’aide à voir autrement, à avoir un autre point de vue sur sa vie ou les projets qu’il mène. Ou que sa fraicheur de regard, les questions qu’il (ou elle) nous pose, remette en cause nos évidences et lève des freins dont nous n’avions même pas conscience dans notre vie et nos projets…

Bref, je crois que nous ne pouvons pas nous contenter d’être généreux dans notre façon de faire de la mission. Nous devons aussi accepter de nous montrer humbles, vulnérables, pas toujours exemplaires, de reconnaître que nous avons à apprendre – ou à réapprendre – des autres. Parce que la mission de Dieu commence ici, et maintenant.

Claire Sixt Gateuille

jeudi 11 juin 2015

Comment être missionnaires de façon pertinente dans les zones rurales ?



J’adapte ici en français la majeure partie d’un article de Pete Atkins, responsable d’un centre de formation des « Fresh expressions », posté sur leur site le 20 avril 2015. Il identifie dans cet article quelques principes importants pour l’action missionnaire de l’Eglise en milieu rural. Le terme traduit ici par "en mission" à chaque début de paragraphe est le terme "missionnal", un néologisme formé sur l’idée que l’Église n’est pas seulement missionnaire dans les actions qu’elle mène mais dans sa façon d'être, et même dans sa raison d'être : elle est un outil de la mission de Dieu. Vous pouvez trouver l'original de cet article ici.

Pete Atkins
« (…) Après plusieurs années de travail passées à favoriser l’engagement missionnaire dans les zones rurales du Lincolnshire (…), mon expérience m’a poussé à m’intéresser au type de culture ecclésiale qui permet de susciter des vocations missionnaires en milieu rural, à leur formation et leur déploiement sur le terrain. Ma problématique est la suivante : quelle culture d’Eglise, au niveau local, amène des individus à se découvrir une vocation missionnaire et à la mettre en œuvre dans le cadre même de leur village ?

Voici les éléments que j’ai découverts :
1.      Une Église en mission en milieu rural est une Église qui célèbre Dieu dans tous les aspects de la vie, et pas seulement quand elle est rassemblée ; une Église qui place au cœur de sa vie communautaire – en tant que corps du Christ – et de la vie de chacun de ses membres la relation d’amour avec Dieu. Cette relation est vivante, directe, immanente, engagée, vécue dans la reconnaissance, le dévouement et le don de soi. Une telle Église accorde une grande valeur à la prière et valorise la présence de Dieu dans tous les aspects de la vie.

2.      Une Église en mission en milieu rural est une Église qui se pense comme participant à la mission de Dieu, une Église qui a développé une compréhension partagée de sa place dans cette mission, une Église qui cherche à susciter et discerner des vocations individuelles pour l’activité missionnaire. Pour cela, elle comprend que tous les chrétiens ont un ministère, celui de prendre part à la Missio Dei, et elle est attend de Dieu qu’il la guide dans sa mission au niveau local, concret. Une telle Église met encore une fois l’accent sur la prière, le discernement. Elle se donne pour mission d’aider chacune et chacun à développer sa capacité à suivre l’inspiration du Saint-Esprit et à discerner là où il est à l’œuvre. Sa théologie reflète ces convictions et sa pratique suscite des témoignages mettant en avant cette compréhension de l’Église.

3.      Une Église en mission en milieu rural est une Eglise qui a compris que, comme dans les Evangiles, la meilleure façon de « croître » en tant que disciple est de faire partie d’un petit groupe dont la préoccupation première est la mission de Jésus, un groupe qui se confie en lui pour être guidé et « formé » par l’esprit-saint. Toute personne qui cherche à développer sa condition de disciple du Christ en communauté – dans la foi, le travail en équipe, l’abandon au Christ et avec le courage nécessaires – s’oriente vers une croissance accélérée !

(c) CSG
4.      Une Église en mission en milieu rural est une Église où l’on trouve encouragement, soutien mutuel, motivation, prière et ressourcement à forte dose ; à ceux qui suivent l’appel de Dieu à participer à sa mission dans leur contexte, l’Eglise doit fournir des lieux adaptés, qui soient proches soit géographiquement, soit au sein d’un réseau ; des occasions et des lieux pour que les personnes engagées rendent compte de ce qu’elles font, des lieux qui offrent à la fois échanges d’expérience, analyse des pratiques et parcours de formation créatifs et innovants pour former des disciples et des communautés entières. Une telle Eglise forme également des communautés ecclésiales où l’on s’aime et on se soutient naturellement les uns les autres, avec le sentiment d’être une famille, d’y être « chez soi », pour ceux qui sont disséminés sur leurs lieux de mission. Pour que les personnes engagées
se sentent bien dans leur mission, se sentent soutenues, malgré leur isolement ou leur petit nombre, il est vital qu’elles se sentent en lien avec un « corps », un réseau plus large que le petit noyau local.

5.      Une Église en mission en milieu rural est une Église où l’on donne priorité à l’avènement du Royaume de Dieu, au point de remettre en cause les barrières confessionnelles artificielles ou partisanes – sans remettre en cause les loyautés confessionnelles justifiées. Cette attitude doit être basée sur un attachement profond à l’Église comme un tout au-delà de ses formes, Église traditionnelle et contemporaine, établie et “fresh” ; sur un désir pour elle de bien servir – et de servir ensemble – Dieu et les gens de nos villages. Une telle Église aura à cœur de permettre la rencontre et le travail commun avec les chrétiens et les Églises in situ, de leur permettre de s’engager et de participer au projet local, mais offrira aussi des espaces de prise de recul pour penser l’innovation et évaluer la pratique.

6.      Une Église en mission en milieu rural est une Église qui a conscience de la créativité de Dieu et se laisse façonner par elle ; une Église ouverte aux différentes formes possibles de nouvelles communautés chrétiennes, qui travaille l’articulation et la complémentarité entre nouvelles formes et formes instituées de l’Église. Une telle Église se place dans la suivance du Christ, a conscience qu’elle est en marche, en mouvement à la suite de Jésus, et encourage ses membres à vivre cette instabilité féconde, cette formation « sur le tas » en tant que disciple. Une telle Église est convaincue du fait qu’il est toujours avec nous (Mt 28.20) et adapte sa vie en fonction de cette conviction. »

Extrait d'un article de Pete Atkins,
traduction Claire Sixt Gateuille


jeudi 4 juin 2015

Accompagner et innover

Le nouveau portail de St Peter's, où Adam Atkinson est pasteur (c) CSG
2ème (et déjà dernière) journée à Londres en équipe. Encore des rencontres avec des personnes de grande qualité, à la fois engagées, motivées et dynamiques mais aussi attentives aux autres et aux sensibilités des gens qui les entourent. Encore des projets encourageants et des Églises locales renouvelées.

Bien sûr, pour une visite si courte, nous avons été obligés de faire des choix dans les différents types de projets vus, et nous sous sommes concentrés sur les revitalisations et implantations d’Église menées par des paroisses-filles de HTB (Holy trinity Brompton), à l’exception de St Peter’s Barge lundi. Ce sont les projets qui nous semblent les plus pertinents pour l’instant, car les plus directement riches d’enseignement pour notre contexte et les questions qui se posent à notre Église aujourd’hui.

Mardi matin, je suis allée au temps de prière proposé par le centre de retraite, situé en plein Londres, où nous avons dormi. Psaumes antiphonés et prière, nous ne sommes pas très loin du style des diaconesses de Reuilly, mais il n'y a pas dans ce centre de communauté à demeure qui, par son habitude de prière, aiderait à rentrer dans le recueillement. Je me retrouve un peu gauche avec un anglais prononcé trop rapidement pour que je me sente vraiment à l'aise...

Ancien et nouveauté cohabitent à St Peter (c) CSG
Puis nous sommes allés à St Peter’s, Bethnal Green, dans un quartier pauvre fréquenté par trois types de populations : des gens « très cools », de milieux alternatifs, des gens très pauvres, et des gens issus de l’immigration, souvent musulmans très pratiquants. Dans ce lieu, la logique est double : adapter la vie paroissiale pour que tous ceux qui veulent venir à l’Église trouvent leur place, mais aussi aller vers les gens du quartier, non pour les convertir mais pour être avec eux témoins de l’Évangile. Vivre parmi eux et les aider à vivre bien dans ce quartier qu'ils ont rarement choisi.

Il y a aujourd’hui 3 cultes par dimanche, de styles différents. Pensés en cohérence, ce ne sont pas des « produits » proposés à des « publics » mais des passerelles entre les différentes sensibilités théologiques et liturgiques. Par exemple, des jeunes venus d’abord à l’Église par le culte du soir, très détendu et informel, viennent maintenant au 1er culte du matin, car ils y trouvent une qualité de silence et de recueillement qui nourrit l’intériorité ou un cadre qui nourrit leur foi. Et des personnes venant au culte très anglo-catholique de 9h du matin, accompagné à l’orgue, viennent maintenant au culte de 11h destiné aux familles, pour y vivre le culte avec les enfants.

L’organisation et l’animation de chacun des trois cultes est confié à un bénévole, laïc ou ordonné (il y a des pasteurs bénévoles dans l’Église d’Angleterre). Le pasteur en charge de la communauté y prêche régulièrement, mais il est ainsi déchargé de cette organisation pour d’autres taches, de formation des ministères locaux, de rencontres, de mise en place de la stratégie ecclésiale et diaconale ou d’évangélisation.

Cette paroisse cherche aujourd’hui à identifier les personnes « de bonne volonté » de leur quartier, celles qui favorisent la vie de quartier et créent du lien, pour se faire connaître et pour que celles-ci  fassent connaitre la paroisse à ceux qui serait en recherche spirituelle. Elle encourage aussi ses membres à être des témoins authentiques dans leur vie de foi (en paroles et en actes). Son objectif principal est de montrer la présence de Dieu par tous les moyens possibles : la parole de Dieu, le St Esprit agissant en chacun et les sacrements. La Bible est au cœur de toutes les actions, y compris les conversations avec les non-croyants. Elle est présentée comme une ressource de sens, un texte à lire et qui peut nous parler, et non comme un outil pour imposer une vérité. Le Psaume 24.7 est devenu leur verset emblématique.
Andy Buckler et Cris Rogers, pasteur de All Hallow's

L’après-midi, nous avons visité All Hallow's Bow, paroisse créée en 2010 dans les locaux d’une Église qui ne regroupait plus que 7 personnes. Elle a aujourd’hui 2 cultes de styles très différents tous les dimanches qui attirent deux populations assez distinctes, même si certains participent aux deux ou alternativement à l’un ou l’autre. De nombreux éléments sont pensés soigneusement (des liturgies illustrées car beaucoup ne savent pas lire à l’aménagement de l’Église pour être un signe du Royaume de Dieu et de la joie qu’il procure, en passant par la cène prise en cercle autour de la table car c’est le seul repas que les familles ne passent pas devant la télé…). Elle anime aussi un centre social et d’animation de quartier, ce qui valorise sa présence et sa participation à la société civile locale.
Ce qui m’a marqué le plus dans ce projet, c’est l’importance de l’accompagnement au changement qui a été fait envers les personnes qui étaient restées fidèles, même si elles n’étaient que 7. Un des principes de ce type de revitalisation est « honorer le passer, naviguer à travers les changements au présent et construire l’avenir ».
Ric Thorpe à St Paul Chadwell (c) CSG
Nous avons fini la visite par un temps d’échange et de reprise avec Ric Thorpe. Nous avons parlé avec lui de ce qui était sorti de notre bilan de lundi soir, et affiné notre compréhension de l’articulation de l’autorité évêques/prêtres/paroisse dans l’Église d’Angleterre. Il nous a aussi présenté des objectifs et projets qui se mettaient maintenant en place au niveau des diocèses et même au niveau national.

Nous revenons de cette visite épuisés mais enrichis de ces rencontres et de ces expériences de terrain. Nous reste encore le plus gros du travail : que faire de cette source d’inspiration dans la dynamique actuelle de notre Église ? « Devenir une Église de témoins », projets d’implantation d’Église, logique missionnaire sont quelque mots clés du travail actuel de la coordination évangélisation-formation qui entrent déjà en résonance avec ce que nous avons visité. Le reste va germer… avec l’aide de celui sans qui notre travail n’est que du vent.

Claire Sixt Gateuille

mercredi 3 juin 2015

Implantations d’Eglises, de la théorie à la pratique

arrivée sur les quais de Canary Wharf (c) CSG
Lundi après-midi, nous avons visité à Londres la Péniche St Pierre, implantée dans le quartier bancaire de Canary Wharf, qui dessert deux publics très différents : les employés des bureaux en semaine, pour des actions d’évangélisation, de ressourcement et de soutien au témoignage de ces personnes, pendant la pause de midi ; et les habitants du quartier, en pleine expansion, qui viennent le soir et le week-end pour des activités d’Eglise plus classiques, et en particulier à destination des mères avec de jeunes enfants, de l’autre.

Ensuite nous sommes allés à St Paul Shadwell rencontrer un jeune pasteur implanteur, qui a créé depuis un an, dans une Eglise en perte de vitesse à la culture très anglo-catholique, un nouveau type de culte le dimanche l’après-midi pour un public différent de celui du dimanche matin et des groupes de maison. Les deux « groupes » veillent à se rencontrer régulièrement et mais le ciment qui les lie est le travail social qu’ils mènent en commun. Un petit groupe venu d’une autre Eglise s’est engagé pour un an renouvelable à porter ce projet avec ses deux pasteurs. Le processus est en cours, le projet est assez souple pour s’adapter aux échecs (la cible des étudiants a été ratée cette année) et aux opportunités qui s’ouvrent (très bonne réponse aux cours alpha, qui s’adressent plutôt aux distancés de l’Eglise qu’à ceux qui ne les ont jamais fréquentées, alors que ce n'était pas le public visé de départ).

Nous avons fini la journée d’étude avec Ric Thorpe qui nous a présenté l’expérience de sa paroisse, St Paul Shadwell et surtout son travail pour faciliter les implantations d’Eglise, en particulier la dimension de « formation de formateurs », pour que les pasteurs apprennent à former des ministères locaux discernés en paroisse. Le plus dur, selon lui, est le moment où l’on doit lâcher prise, pour laisser faire les autres, même si dans un premier temps se sera moins bien fait que si l'on faisait nous-même.
"Prospect of Whitby" fondé en 1521 (c) CSG

Nous avons fini la soirée avec une bière et, au choix, un fish and chips ou une pie dans un pub, au bord de la tamise. La discussion de reprise de la journée a été passionnante et m’a encore une fois fait mesurer la chance que j’ai de faire partie de cette équipe (non seulement chacun des membres est doué dans son domaine et humainement, mais notre esprit d’équipe fait que nous sommes vraiment plus que la somme de nos individualités, et j'ose croire que le Saint-Esprit y est pour quelque chose).

Nous avons pointé 3 éléments-clés qui différencient le contexte anglais du nôtre : la taille de l’Église, le système épiscopal et la culture anglaise de présence des religions dans l’espace public. Ces trois éléments seront à prendre en compte si nous voulons adapter la logique de fresh expressions et d’implantations d’Églises en France.

Et une chose qui a été unanimement appréciée et que j’avais déjà remarqué avant lors de rencontres œcuméniques : la capacité des anglicans, en tout cas en Angleterre, à valoriser la tradition tout en en faisant quelque chose de toujours vivant. Ici, nous avons été marqués par le choix de construire à partir de l’existant d’une paroisse, sans vouloir faire table rase du passé, en commençant par faire raconter par ceux qui sont restés fidèles pourquoi ils sont là et l’histoire de leur paroisse, tout en se donnant une totale liberté de faire quelque chose de totalement nouveau à côté, mais en dialogue, dans un objectif d’enrichissement mutuel des deux logiques.

Bref, une vraie source d’inspiration, et la conscience que ce n'est que le début du chantier pour nous…
Claire Sixt Gateuille

mardi 2 juin 2015

Comment forme-t-on un planteur d’Eglises ? et pour faire quoi ?

(c) CSG
Ce matin, notre équipe nationale est partie à Londres découvrir des fresh expressions et des implantations d’Eglise mises en œuvre dans l’Eglise anglicane, dont certaines sont menées en partenariat avec la paroisse de Holy Trinity Brompton, connue en France pour avoir développé les cours Alpha.

Ce voyage a un petit côté voyage scolaire, mais je suis pleine de reconnaissance de le vivre, pour trois raisons principales :
- La première, c’est que ce temps mis à part renforce la cohésion de notre équipe. Nous sommes déjà très complémentaires, soudés et avons vraiment le sentiment d’être au service d’un même projet. Vivre cette expérience ensemble renforce encore notre unité et notre « vision » commune.
- La deuxième, c’est que prendre du recul – ici littéralement, puisque nous sommes à l’étranger, en dehors du lieu où nous sommes en responsabilité – ait toujours bienfaisant, et le faire en équipe nous donne un lieu d’analyse de notre pratique collective, nous aide à développer notre créativité, notre inventivité et notre intelligence collective.
- La troisième, c’est que toutes ces expériences que nous visitons sont de réelles sources d’inspiration dans notre volonté d’aider notre Eglise à devenir une Eglise de témoins. En termes de formation, de ministères, d’expérimentation, de structures, etc., nous apprenons beaucoup de choses, et même si nous ne pouvons pas simplement transposer ce que nous voyons là, nous sommes encouragés et inspirés par ce que nous découvrons.
Temps de culte à St Mellitus college (c) CSG

Nous sommes donc allés ce matin à St Mellitus College, lieu de formation de candidats au ministère ordonné, mais aussi d’animateurs jeunesse paroissiaux professionnels et d’autres étudiants en théologie. Ce lieu propose une formation en alternance sur 2 ou 3 ans, avec une pratique ecclésiale, souvent sur une implantation d’Eglise ou le développement d’une nouvelle forme d’Eglise à mi-temps et un mi-temps de formation théologique sous forme de cours académiques et de devoirs à rédiger. La formation est clairement orientée vers la théologie pratique, c’est-à-dire l’analyse théologique de la pratique du ministère et sa mise en perspective.
Ce lieu de formation, fondé à la suite du rapport « Mission Shaped Church » pour mettre en pratique, dès la formation des prêtres anglicans, les orientations proposées par ce rapport, est dirigé par Graham Tomlin. En 8 ans, il est devenu le lieu qui forme le plus de candidats au ministère en Angleterre, preuve que ce type de formule – en alternance – répond à une attente forte de la part des candidats au ministère. Une phrase de Graham m’a marquée « la principale chose qu’il nous faut faire passer pendant la formation, c’est l’espérance, pour l’Eglise, pour la foi et pour le monde ».

L'équipe nationale (avec moi qui prend la photo) à Canary Wharf
Nous avons ensuite rencontré Debbie Clinton, qui est responsable du projet « Capital vision 2020 », qui fixe des objectifs quantifiables de croissance pour le diocèse de Londres. Ce projet est venu des attentes exprimées par les paroisses elles-mêmes, il s’articule autour de trois axes : la confiance (redonner confiance, être plus assurés pour témoigner), la compassion (être présents auprès des gens dans leur vie) et la créativité (renforcement de la jeunesse, implantation d’Église, développement de la présence dans le domaine des loisirs). Des outils pratiques ont été créés pour aider les paroisses à s’approprier un ou plusieurs des 10 objectifs du projet et à s’impliquer dedans. L’idée est aussi d’aider les paroisses à changer leur logique, leur mode de pensée, de s’ouvrir à la nouveauté de Dieu.

Cette première partie de notre séjour a été importante pour poser le cadre et expliquer la dynamique qui entourent les projets d’implantation et de fresh expressions. Ce ne sont pas des initiatives isolées, même si elles sont portées localement, mais des éléments d’une vision globale de l’Église et de sa participation à la mission de Dieu.

Claire Sixt Gateuille