Notre hôtel, symptomatique de la crise espagnole (c) CSG |
Je suis depuis jeudi près de Malaga pour un colloque puis
l’assemblée générale de la Conférence des Eglises protestantes des
pays latins d’Europe (CEPPLE). Le colloque a eu lieu jeudi et vendredi autour
de la question « Quel futur pour les Eglises protestantes des pays latins
d’Europe ? » et nous invitait à partager nos perspectives d’avenir,
en prenant en compte la dimension de plus en plus cosmopolite de nos Eglises,
mais aussi les évolutions dans la demande spirituelle de nos contemporains et
du rapport au religieux dans la société. Jean-Pierre Bastian a apporté son
point de vue de sociologue et Elisabeth Parmentier, le sien de théologienne
pratique (que je développerai demain dans un autre billet).
Jean-Pierre Bastian a évoqué deux grandes évolutions qui
touchent le protestantisme latin : le développement fulgurant du
pentecôtisme et la montée de l’individualisme.
Pentecôtisme
Il a souligné que le protestantisme en latinité était
sociologiquement un micro-milieu. Pour lui, si la religiosité protestante est
restée ultra-minoritaire, c’est qu’elle ne répondait pas à l’exigence
esthétique et émotionnelle de la culture latine. Le pentecôtisme, au contraire,
y répond en alliant hyper-archaïsme des pratiques magico-spirituelles et
hyper-modernité médiatique. Il répond également à la demande contemporaine
d’une religiosité pratique et performante, dans une logique de donnant-donnant
(je fais cela pour m’attirer les grâces de la divinité) qui préfère le succès à
la vérité. Selon Bastian, le pentecôtisme est la forme régressive du protestantisme,
mais l’accent de plus en plus porté sur les charismes dans une frange du
pentecôtisme (que le colloque de Strasbourg, voir les billets de juillet de ce blog, qualifiait de néo-pentecôtisme) l’amène se détacher progressivement du
protestantisme pour devenir une nouvelle confession chrétienne.
Si le pentecôtisme est si présent chez les migrants, c’est
que son message simplifié à l’extrême, sa pratique de la glossolalie qui est
transculturelle et son détachement du politique, donc d’une implantation
locale, le rendent transplantable dans n’importe quel pays. Le pentecôtisme
détache le religieux de la culture pour mieux l’internationaliser.
Individualisme
Jean-Pierre Bastian, université de Strasbourg (c) CSG |
Si le pentecôtisme rivalise avec le protestantisme
historique, l’individualisme le transforme de l’intérieur. Sociologiquement, on
est sorti en 50 ans de la religion instituée, ce qui ne veut pas dire que les
gens n’ont plus d’attentes religieuses, mais celles-ci se sont déplacées.
Aujourd’hui, les croyances ne font plus système, la
cohérence vient du « consommateur » et non plus du
« producteur » d’offre de sens. Chacun choisit, dans un monde de
symbole et de pratiques circulant, les éléments qui font autorité selon son
expérience et ce qu’il recherche. Le critère de choix est le résultat produit (ce
que l’on ressent, si ça nous « fait du bien »). Les gens font donc un
usage pragmatique du religieux.
JP Bastian parle de « désotériologisation » et
prend l’exemple de la culpabilité : les questions autour du péché sont
reformulées dans un vocabulaire faisant référence au monde, à la communauté. La
spiritualité devient une « énergie communautaire qui recharge ». On
assiste à un rapprochement entre le transcendant et l’immanent.
Les religieux deviennent de « petits entrepreneurs dans
le domaine du salut », ils « donnent-à-croire » et s’adressent à
des niches sociologiques, se spécialisent pour répondre à une sous-culture
donnée. Cette évolution du
croire suit la hausse du niveau de formation des gens : l’individu
est aujourd’hui plus à même de choisir ses croyances, de les évaluer. Le lien à
l’institution religieuse devient alors facultatif et chacun se construit son
identité spirituelle. Mais le croire ayant tout de même besoin de confirmation,
les personnes créent de petites communautés, plus au moins émotionnelles.
En conclusion, il propose plusieurs pistes pour les Eglises
protestantes en Europe latine, autour de la production de sens, d’être une
instance critique à la lumière de l’Evangile, de continuer la dynamique du XIXe
siècle où les protestants étaient à l’avant-garde dans le social, de faire avec
le pluralisme religieux, d’être des minorités actives et de faire de la
personne un « individu porteur d’une identité », nourrit de mémoire
et de théologie. Il nous a par ailleurs invités à dialoguer plus avec les
pentecôtistes. Rappelant que la spécificité du protestantisme historique est
dans l’éducation et la réflexivité critique, il a fini en invitant nos Eglises
à redevenir une avant-garde intellectuelle, religieuse et morale.
La table des intervenants (c) CSG |
C’est son point de vue de sociologue analysant la
spécificité du protestantisme. J’ai pour ma part du mal à me dire qu’il
faudrait avoir comme cœur de cible une démarche élitiste… Mais les idées de
garder l’Evangile comme référence critique, d’être des minorités visibles et
actives par l’Evangélisation et l’importance de la formation sociale et
théologique des membres d’Eglises et e leur place dans la mission de l’Eglise
sont en droite ligne de nos objectifs dans l’EPUdF.
Claire Sixt Gateuille
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