mardi 23 septembre 2014

L'éthique et la résistance

Seconde partie de l'interview réalisée par Sabina Baral et Alberto Corsino le 26 août à Torre Pellice, lors du synode de l'Église vaudoise

"SB : Le COE dépense beaucoup d’énergie à favoriser l’unité dans la différence pour répondre à sa vocation. Quelles bases devrait avoir cette volonté commune ?

La tempête apaisée, Vitrail (extrait) (c) CSG
CSG : J’ai en ce moment du mal à comprendre la position du COE. Cela ne veut pas dire que je sois critique. Le COE est constamment sur une ligne de crête entre d’un côté le risque de n’être plus qu’une ONG chrétienne parmi d’autres et de l’autre celui de n’être qu’une communauté d’Eglises en tant que structures. Pour l’instant, je trouve qu’il a tendance à pencher du premier côté. Ce qu’il m’interroge beaucoup, c’est l’idée du « pèlerinage vers la justice et la paix ». Cela fait 30 ans qu’on parle de ces thématiques ; je ne dis pas que cela ne rentre pas dans le champ des Églises, mais il des questions comme celle de la sécularisation et de la reconfiguration du religieux me semblent aujourd’hui prioritaires.

Concernant l’engagement pour les droits humains, il faut garder comme fondement ce que le COE appelle le « combat pour la vie », c’est-à-dire les droits fondamentaux qui garantissent la possibilité pour toutes et tous de vivre. Cela est essentiel ; cette universalité-là doit être maintenue. Le problème, ce qu’en ce moment en Europe, nous avons à faire avec une culture de la consommation et la publicité qui poussent les gens à revendiquer de nouveaux droits pour tout et n’importe quoi. On utilise le langage du droit comme une façon d’affirmer une sorte de garantie inaliénable. Pour moi, ceci est une preuve que les personnes ne se sentent pas libres. Au contraire, la foi libère, elle aide à ne pas avoir tout le temps à réclamer face à la société tel ou tel droit dans lequel on s’affirmerait.

SB : Les Eglises en Europe sont souvent sollicitées pour s’exprimer sur les questions éthiques, de la bioéthique à l’évolution de la famille, avec le risque d’un côté de tomber dans l’aspect technique et de l’autre de se voir relégués dans un coin, comme si ces sujets ne concernaient au mieux que la vie privée des individus. Comment devraient réagir les Eglises ?

CSG : L’éthique semble être en premier lieu une question de spécialistes. Mais cette insistance sur l’éthique est un artifice. Les média et la politique sollicitent les Eglises pour qu’elles se prononcent sur les thèmes de la bioéthique ou de l’euthanasie, mais c’est une façon de les reléguer dans un coin comme si la foi et la religion étaient seulement une affaire privée : les média et la politique ne s’intéressent pas à ce qui est fondamental pour nous : l’Evangile. Au contraire, la foi, et Jésus-Christ, nous parlent de la vie, de la vie en général et pas seulement de la conception et des 3 premiers mois de grossesse et de la fin de vie. Les Eglises ont pour tâche d’annoncer l’Evangile du début à la fin de la vie.

SB : alors, dans quels domaines de notre vie les Églises peuvent-elle annoncer l'Evangile de façon spécifique ?

CSG : Les Églises doivent continuer à faire entendre leur voix dans trois domaines :
Cloitre, St Pierre-le-vieux, Strasbourg (c) CSG
1. La croix et la résurrection, en affirmant la grâce inconditionnelle, remettent en question l’idéologie du succès, qui appelle chacun à se réaliser soi-même mais laisse dans le fossé tous ceux qui ne réussissent pas ; il est toujours plus difficile par exemple d’accepter que des enfants puissent naître avec un handicap. Nous devons au contraire affirmer que tout le monde a non seulement le droit de vivre, mais le droit d’être reconnu comme quelqu’un qui apporte quelque chose à la société de vivre et pas comme un poids. Toutes les personnes sont enfants de Dieu et elles peuvent toutes être témoins de son amour.  

2. La croix et la résurrection remettent en question la logique de consommation, qui se traduit par la création de nouveaux « besoins » basés sur des pulsions (« je veux », « j’ai envie ») et d’une nouvelle culpabilité (« tu n’es pas à la hauteur mais tu peux te racheter en consommant »). Or contre la culpabilité, la foi affirme le pardon. Donc avoir une relation à Dieu permet de tenir à distance ces besoins induits et ces pulsions et de faire un chemin vers la modération, un chemin qu’on dirait théologiquement « de sanctification ».

3. La croix et la résurrection remettent en cause la culture médiatique, basée sur l’immédiateté et la recherche d’une gloire éphémère, qui s’obtient en passant à la TV quelques minutes. Pour nous, « A Dieu seul soit la gloire », Dieu nous appelle à la fidélité et donc à s’inscrire dans le long terme. Cela demande du temps, on n’en voit pas tout de suite le résultat, mais cela en vaut la peine : il s’agit de participer à l’œuvre de création de Dieu qui continue dans notre monde.
Voilà les trois lieux où il faut continuer à avoir un discours public de résistance. Notre seul outil de résistance est notre témoignage, un témoignage personnel, en paroles et en actes, qui se nourrit d’une lecture de la Bible à la fois personnelle et communautaire.

C’est dans cette perspective de témoignage que nous avons créé l’Église protestante unie de France (de l’union des Églises luthérienne et réformée de France). Notre Église essaie d’être une Église de témoins. Ce n’est pas avec le nombre que nous sommes que nous arriverons à changer la logique des médias, mais nous pourrons commencer à changer la culture des personnes qui nous entourent, la façon d’être (car notre identité est en Dieu) en témoignant de la paix que Christ nous donne."

26 aout 2014, Torre Pellice

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