samedi 2 décembre 2017

Que peut-il sortir de bon de Nazareth ? (Partie 2)

"Que peut-il sortir de bon de Nazareth ?" On trouve cette phrase dans la bouche d'un futur disciple de Jésus ; ses préjugés ne l'ont pas empêché de suivre Jésus, ils n'ont tout simplement pas résisté à une rencontre en vérité...

L’Évangile, que notre lecture de la Bible laisse entrevoir, que les rencontres peuvent révéler, nous offre une dynamique entre loi et libération qui traverse la foi et qui peut nous porter dans la rencontre. D’un côté, la loi structure, cadre, offre une référence commune et donc rassure. D’un autre côté, la vie et la Bible sont traversées d’inattendu, d’attention au particulier, de libération, parfois de transgression. On ne peut pas simplement opposer la loi et l’Évangile, les deux tiennent ensemble. La foi est là à la fois pour nous rassurer et nous déranger. Dieu est un Dieu présent, qui se révèle là où on ne l'attend pas.

L’Évangile nous invite à sortir des murs de l’Église, non pour nous fondre dans le décor, mais pour la rencontre, pour y chercher les traces du Christ, pour écouter et témoigner de l’Évangile. Et souvent, Christ nous fait connaître son action dans la vie des autres, il nous révèle aussi parfois notre tendance à juger trop vite... le témoignage est essentiel, non pas pour convaincre, mais pour rencontrer en vérité, en écoutant le récit de vie de l'autre, en discernant les fils de l’Évangile dans la pâte humaine, l'appel de Dieu pour cette vie. Le respect est essentiel au témoignage.
Lors qu’avec l’équipe nationale de notre Église, nous avons visité des « Fresh expressions of Church » (de « nouvelles formes d’Église » en français) à Londres, une chose m’a marquée : le respect témoigné par tous les porteurs de projets. Respect des anciens, reconnus comme la mémoire de l’Église, comme des figures de la fidélité, comme ceux qui ont assuré la transmission, dont on valorise l’expérience, que l’on accompagne en favorisant les passerelles entre tradition et innovation ; respect des gens et du quartier tels qu’ils sont : on ne cherche pas à faire d’eux ce qu’ils ne sont pas, à les amener vers un « idéal » déterminé par d’autres ; respect enfin des porteurs de projets eux-mêmes : l’Église, et en particulier l’évêque anglican, les encourage, leur fait confiance, les invite à monter un projet selon leur don, leur sensibilité, en exploitant leurs goûts et leur charisme personnels. Cette Église est passée une culture du contrôle à une culture de l’encouragement. Il me semble que cela pourrait être aussi un sens du mot d’ordre de notre Église « Choisir la confiance ».

Notre Dieu est un Dieu qui fait revivre ce qui était mort et ouvre des tombeaux dont nous pensions que les portes étaient closes. Il a choisi de venir s’incarner dans la pâte humaine. Jésus est mort pour avoir voulu dépasser les codes lorsque ceux-ci devenaient des verrous. Sa venue au monde et sa résurrection offrent une espérance qui nous permet de choisir la confiance, nous ouvre à la rencontre et nous permet d’oser, d’essayer. Parce qu’il nous accepte et nous reconnait tel que nous sommes, parce qu’il nous donne des sœurs et des frères pour révéler nos dons, nous pouvons accepter et reconnaitre l’autre, quel qu’il soit. Nous pouvons nous tenir à ses côtés, et parler de l’Évangile qui nous fait vivre et de la joie qu'il nous donne. Bref, être un rayon de soleil dans notre monde qui semble parfois bien sombre... 

Nous pouvons espérer et tenir dans l’hiver des cœurs gelés que semble souvent être notre société, en préparant les graines de fraternités pour qu’elles puissent éclore au printemps.

Claire Sixt Gateuille

Ce billet et le précédent ont été publié en un seul article dans le journal de l’Église protestante unie de Montpellier en décembre 2016. J'ai modifié ici trois tournures de phrases.

samedi 25 novembre 2017

Que peut-il sortir de bon de Nazareth ? (Partie 1)


En guise de Nativité, l’Évangile de Jean nous offre un prologue cosmologique : Jésus est situé dans le temps et dans l’espace, placé, en tant que Parole de Dieu incarnée, au centre de tout. Et pourtant, cette Parole de Dieu, cette lumière, « le monde ne l’a pas connue » (Jn 1.10).

Tout l’Évangile de Jean nous parle d’un défi que nous avons nous aussi à relever : reconnaitre et parler de la présence de Dieu dans un monde qui ne la reconnait pas. L’Évangile est paradoxal, il marie le visible et l’invisible, l’attendu et l’inattendu, parle d’un infini qui vient nous rencontrer dans la finitude. Et Jésus est la figure de ce paradoxe. Par exemple, lorsqu’on lui annonce que Jésus est la réalisation des promesses faites à son peuple, Nathanaël répond : « Que peut-il sortir de bon de Nazareth ? » (Jn 1.45-46).
Il y a toujours une tension entre les attentes et leur réalisation, entre la promesse et l’accomplissement. A l’époque des premiers disciples, la question se posait déjà : comment Jésus peut-il être le messie attendu ? L’évangéliste Jean n’utilise ni anges, ni mages, ni même bergers pour introduire le réalisateur de la promesse. Seul un prophète qui ne se reconnait pas comme tel (Jn 1.21) annonce qu’il vient, et lui fournit ses deux premiers disciples. Son cinquième disciple commence par lui opposer un préjugé : « Que peut-il sortir de bon de Nazareth ? » (Jn 1.45-46).

Des préjugés, Jésus en a eu aussi. Il a eu besoin de rencontres pour les dépasser (Mt 15.21-28,  Mc 7.24-30). Avoir des préjugés, c'est naturel, c'est le reflet de notre univers mental, de notre compréhension du monde, de nos habitudes, de nos méconnaissances, de nos peurs. Quand nous connaissons peu une culture, une personne, nous l’imaginons à partir de ce que nous en voyons, en savons. Cet imaginaire a priori est un préjugé, qu’il soit positif ou négatif. La vraie question est : est-ce que nous nous arrêtons là, et nous contentons de ça, de ce que nous pouvons voir de loin ou est-ce que nous sortons à la rencontre ? Et si l’autre se rapproche et vient vers nous, est-ce que nous tentons de l’accueillir ou est-ce que nous préférons le rejeter, le renvoyer, l’effacer de notre vie, voire de notre société ?
Dépasser nos préjugés et notre peur pour rencontrer l’autre, c’est prendre le risque de sortir de notre zone de confort, d’être confronté au déstabilisant, au dérangeant, au bizarre, aux préjugés de l’autre sur nous. C’est risquer de devoir se révéler à notre tour, dans nos réactions, nos paroles ou notre attitude. C’est risquer d’être confronté à des besoins, à des attentes, à des choix.
Mais cela est vrai aussi si l’on désire vraiment rencontrer Jésus à travers les Écritures… la Bible est écrite dans des langages que plus personne ne parle aujourd’hui sous la forme d'il y a 2000 ou 3000 ans (l’hébreu, l’araméen et le grec anciens), elle véhicule des univers textuels qui nous sont étrangers et chaque fois que nous cherchons à la faire rentrer dans nos codes, d’autres nous proposent d’autres interprétations. Et la Bible nous interpelle, nous demande de nous positionner, de nous remettre en question. 

Il est vrai que la Bible, on peut la refermer et la ranger dans l’étagère… Ou la transformer en objet d'étude à tenir à distance, à décortiquer, à analyser froidement. 

(la suite samedi prochain)
Claire Sixt Gateuille

Ce billet et le suivant ont été publié en un seul article dans le journal de l’Église protestante unie de Montpellier en décembre 2016. J'ai modifié ici trois tournures de phrases.

vendredi 17 novembre 2017

La lourdeur, le partage et la joie

“Venez auprès de moi, vous tous qui portez des charges très lourdes et qui êtes fatigues, et moi je vous donnerai le repos.” (Mt 11.28, traduction PdV)

Ce verset est le verset proposé par la liturgie anglicane pour les lundis ordinaires. Quand l’archidiacre Meurig Williams (le responsable général des paroisses anglicanes en France) m’a proposé de faire porter ma méditation sur ce verset (lors du temps de prière inaugural de la rencontre du comité de Suivi des Accords de Reuilly qui a eu lieu du 13 au 15 Novembre à Larne, au Nord de Belfast), je l’ai lu et me suis dit : « C’est étrange de choisir ce verset pour commencer la semaine, ce verset qui parle de la charge que nous portons tous d’une façon ou d’une autre. Comme si recommencer la semaine de travail était – devait être – difficile, dur, stressant. Comme si travailler était une charge lourde à porter… » 

Puis j’ai réfléchi à la perspective spirituelle que pouvait nous proposer ce verset pour « lire » nos vies. Deux idées me sont alors venues : 

1.    Est-ce que ce dont nous choisissons de nous charger vaut toujours la peine d’être porté ? En ce début de semaine, il est toujours bon de ce demander “cela en vaut-il la peine ? ». non pas, cela en vaut-il la peine en termes d’argent gagné ou de reconnaissance sociale, mais « cela en vaut-il la peine aux yeux de Dieu ? » c’est-à-dire en termes de justice, de dignité humaine, de proclamation de l’Evangile, de libération ? Cette question « cela en vaut-il la peine ? » met en lumière ce qui compte vraiment pour nous, nos motivations réelles, en particulier au travail ou dans ce que nous faisons… et en tant que chrétiens, si nous réalisons que nous faisons quelque chose pour de mauvaises raisons, cela vaudrait la peine de reconsidérer si nous devons le faire ou non…

2.    Est-ce que ce dont nous choisissons de nous charger vaut la peine d’être porté seul ? Souvent, quand nous nous sentons surchargés, c’est parce que nous n’avons pas voulu – ou pu – partager la charge avec d’autres. Mon expérience m’a enseigné qu’il y a des moments où l’on ne peut pas partager certaines choses, par exemple à cause du secret professionnel, et la prière devient alors essentielle, car nous pouvons toujours confier cela à Dieu. Mais la plupart du temps, quand j’ai eu l’impression d’arriver à saturation, d’être surchargée, c’est parce que je voulais garder le contrôle. Parfois par manque de confiance en moi ; parfois par manque de confiance dans les autres. Mais à chaque fois, j’avais oublié qu’il y a quelqu’un, plus haut, qui a le contrôle de la situation, quelqu’un sur qui je peux m’appuyer et qui m’appelle à compter sur d’autres personnes.

Nous oublions souvent de prendre au sérieux un verset qui est juste avant, en Mt 11.25. Jésus y remercie Dieu d’avoir fait connaître des choses aux petits (enfants) et de les avoir cachées aux sages et aux savants. Cela peut être interprété comme d’autres textes bibliques comme un appel à redevenir comme des enfants devant Dieu. Mais ce verset éclaire aussi le verset 28 : pour moi, c’est une invitation – non pas à réussir la performance spirituelle de redevenir un enfant mais – à nous charger uniquement de ce que nous pouvons porter, comme les parents invitent leurs enfants à le faire quand ils partent en randonnée… C’est une invitation à réaliser que chaque fois que nous sommes en situation de responsabilité ou de pouvoir, nous avons besoin des autres. Chaque fois que nous sommes en responsabilité, nous avons en fait deux responsabilités : celle de mener à bien ce dont nous sommes responsable, et celle de voir si nous ne pourrions pas partager avec quelqu’un d’autre une partie de cette responsabilité, lui montrer qu’il/elle est utile, qu’on a besoin de lui/elle, qu’il/elle a de la valeur et est reconnu-e comme un enfant de Dieu, qui fait sa part.

La plupart du temps, avec le partage, vient la joie. La bénédiction de la Joie !

Prenons donc la charge de notre travail à faire, et recevons la joie de le partager. C’est ce que je nous ai souhaité pour ces trois jours de réunion !
Le comité de Suivi des accords de Reuilly en plein travail

Claire Sixt Gateuille

samedi 14 octobre 2017

Présenter une histoire non écrite

Jusqu'au 12 novembre, une exposition temporaire, "L'Afrique des routes", se tient au musée du Quai Branly (Mezzanine Ouest, accessible par les collections permanentes). Passionnante, cette exposition présente l'histoire du continent africain, à partir des routes d'échanges présentes sur le continent. 

Ces routes d'échanges, commerciales mais aussi religieuses, artistiques et culturelles, ont laissé des traces, par la présence d'objets marqués par une culture hors de leur lieu de production, mais aussi par les influences culturelles mutuelles et par des phénomènes de syncrétisme ou de transculturation. Ces traces permettent de mettre en lumière les grandes lignes d'une l'histoire de l'Afrique, histoire non écrite mais très bien mise en valeur par les animations et la scénographie de l'exposition. 

dessin (c) Marie Sixt
J'ai eu la chance de visiter cette exposition avec ma fille de 6 ans, avant l'heure d'ouverture au public (privilège d'avoir un pass d'abonnement annuel), et elle a été passionnée par la diversité et la beauté des objets présentés. Elle pouvait se poser par terre pour dessiner les objets qui lui plaisaient, comme ce masque venant du Cameroun et figurant une tête de buffle.

Pour ma part, j'ai vraiment apprécié de découvrir cette histoire, dont j'ignorais de nombreux pans, et l'esthétique de l'exposition, que ce soit les objets ou leur mise en valeur. Une animation très pédagogique à l'entrée de l'exposition met en valeur les différents royaumes africains dont l'exposition parle et leur évolution géographique dans l'histoire.

Dans la partie sur les routes spirituelles, deux documents du Défap - service protestant de mission sont mis en valeur, les deux concernent l'accueil du christianisme par les Basouthos. Si je vous ai mis l'eau à la bouche, il reste encore un mois pour visiter cette exposition.

Claire Sixt Gateuille

lundi 4 septembre 2017

Tour du monde des 500 ans de la Réforme

logo du "Jubilé" de la Réforme
Le 500e anniversaire de la Réforme est fêté très diversement suivant les pays et les Églises : opéra pop, grande fête en plein air, documentation pédagogique, rencontres et colloques, voyages organisés ou échanges de paroisses, projets sociaux, etc. 

Mais l’on peut ranger les diverses initiatives en trois grandes catégories :
-    Patrimoniale : Qu’ont apporté les luthériens ou plus largement les protestants dans telle société jusqu’à aujourd’hui?
-    Proclamatrice : Quelle message inspiré de Luther et de l’Evangile Dieu nous appelle-t-il à annoncer aujourd’hui ?
-    Diaconale : qui a besoin d’être sauvé aujourd’hui et de quoi ? De quelles libérations Dieu nous appelle-t-il à être ses agents ?

Assemblée de la FLM à Windhoek (c) CSG
Je vous propose un coup de projecteur sur 4 lieux :
Windhoek : le 14 mai, près de 10 000 personnes, reflétant la diversité mondiale du luthéranisme par leurs costumes et leurs langues, se rassemblaient dans un stade pour une longue célébration marquée par des témoignages, de nombreux chants, une belle prédication et une sainte-cène qui dura 20 mn. Les participants à l’Assemblée générale de la Fédération luthérienne mondiale et des africains venus de toute la Namibie et des pays voisins fêtaient ce jour-là l’expansion de la Réforme jusqu’au bout du monde et la joie d’être sauvés par grâce.

Wittenberg : en 10 ans, l’Allemagne est passée de la « décennie Luther » à « Réforme 2017 », une ouverture interconfessionnelle heureuse… Du 20 mai au 10 septembre, c’est donc la Réforme dans ses différentes composantes qui s’expose à Wittenberg, sur 80 stands répartis sur toute la ville, en une Exposition universelle de la Réforme qui témoigne de la vitalité de la foi et de l’importance de l’action des protestants dans le monde entier. Parmi les attractions, une installation qui a fait entre novembre 2016 et mai 2017 un tour d’Europe des villes de la Réforme, et enregistré l’histoire protestante et des témoignages de croyants de chacune de ces cités.
Pavillon de la FEPS à Wittenberg (c) S.Fornerod

Wroclaw : l’Église luthérienne de Pologne a développé une application qui permet de découvrir faits historiques ou éléments culturels marquants liés à la Réforme, dans ce pays pourtant très catholique, à proximité de là où l’on se trouve.

Valparaiso : Les Églises luthériennes et réformées du Chili, comme celles de toute l’Amérique latine, ont choisi de se concentrer sur la question : quel salut pour aujourd’hui ? Elles ont donc placé l’année 2017 sous le signe de la lutte contre le trafic d’êtres humains (prostitution, vente d’organes, etc.), dans la lignée du sous-thème « L’être humain n’est pas à vendre » décliné par la Fédération luthérienne mondiale pour redire aujourd’hui la libération par grâce (les deux autres sous-thèmes étant « le salut n’est pas à vendre » et « la création n’est pas à vendre »). 

Cet article est paru cet été dans le journal local "Notre Effort". 
Claire Sixt Gateuille

jeudi 8 juin 2017

présentation des AG FLM et CMER

Voici deux vidéos de présentation des deux grandes assemblées qui ont lieu en 2017 : l'Assemblée générale de la Fédération luthérienne mondiale, qui s'est tenue à Windhoek, Namibie, du 10 au 16 mai,

Et celle de la Communion mondiale des Eglises réformées, qui se prépare à Leipzig, du 29 juin au 7 juillet.


On notera qu'entre les deux, nous nous sommes équipés d'un éclairage digne de ce nom ! 😉

Pour en savoir plus, n'hésitez pas à aller voir le blog http://dewindhoekawittenberg.blogspot.fr/. Je publie plus souvent sur ce blog là que sur celui-ci, en ce moment...  

mercredi 3 mai 2017

Assemblée générale de la FLM

Je pars lundi pour l'assemblée générale de la Fédération luthérienne mondiale. Celle-ci se déroulera du 10 au 16 mai à Windhoek, en Namibie. Je partagerai avec vous mes impressions de cette expérience sur le blog "De Windhoek à Wittenberg", que je vais partager avec les autres délégués français à Windhoek.

Ce blog servira aussi aux délégués français à l'assemblée générale de la Communion mondiale des Églises réformées, qui se tiendra à Leipzig (et Wittenberg et Berlin) du 29 juin au 7 juillet, pour qu'ils partagent leur expérience de cet autre événement international marquant de l'année 2017. 

Bonne lecture !

vendredi 21 avril 2017

"L'Empire" contre-attaque

Logo de l'assemblée générale 2017 de la CMER
La notion d' "Empire" vous semble dater ? Pour vous, elle fleure bon l'exégèse historico-critique (le travail théologique sur le contexte dans lequel a été écrite la Bible et sur l'histoire de sa rédaction), ou l'histoire géo-politique (avec les empires romain, ottoman ou britannique, pour n'en citer que quelques uns au hasard) ? Il est grand temps de vous remettre à jour en matière de théologie réformée ! 

En effet, depuis quelques temps, et en particulier depuis la Confession d'Accra en 2004, la notion d'Empire revient au gout du jour dans les milieux réformés et œcuméniques mondiaux. Je vous invite d'ailleurs à lire l'article "Empire" de Philip Peacock, dans le livret de préparation en prière de la prochaine assemblée générale de la Communion mondiale des Églises réformées (téléchargeable sur son site). 

Disons-le tout de suite, je n'adhère pas à tous ce qui est dit dans cet article, mais je pense qu'il est important de le lire pour comprendre la grille de lecture de l'état du monde qu'utilisent un certain nombre d’Églises du Sud. Au-delà des tics de langage, au-delà d'une critique trop simpliste de l'économie de marché et d'une désignation du "complexe militaro-industriel" (sic) comme le grand manipulateur mondial, ce qui me semble caricatural, cette notion a des choses à nous dire.

l'Empire, nous dit l'article, est un concept post-colonial, un outil herméneutique permettant de dénoncer la dynamique de pouvoir dans laquelle nous sommes englués sans toujours nous en rendre compte, un symbole qui aide à comprendre l'état actuel du monde. Ce concept désigne une concentration de pouvoirs de nature différente, une logique de domination qui se présente comme une forme de bon sens, un système englobant et une structure qui s'adaptent perpétuellement et s'imposent jusqu'à devenir un système de pensée, empêchant toute remise en question.

Cette notion d'Empire, me parle pour deux raisons, elle rejoint deux problématiques qui me travaillent actuellement :
- Tout d'abord, elle résonne avec la notion de "système technicien" que dénonce Ellul. Elle se pare des attributs du bon sens (ces "lieux communs" qu'Ellul décortique dans Exégèse des nouveaux lieux communs), de l'efficacité et de la technicité qui nous pousse à faire confiance à des experts pour prendre en charge notre organisation sociale, nos productions, notre responsabilité politique, notre vie intime parfois même, jusqu'à nous conditionner, nous faire penser que c'est mieux comme ça, plus simple et plus reposant, et à nous déresponsabiliser des conséquences de cette délégation. La notion d'Empire vient ici comme un aiguillon nous réveiller de notre torpeur en nous rappelant que choisir le confort et/ou le mode de vie dominant, c'est encore faire un choix (et non une nécessité qui ferait force de loi). Dans un système où la technique s'entretient et se développe elle-même sans fin si elle n'est pas interrogée, neutralité vaut acquiescement. La notion d'Empire nous rappelle notre appartenance au système, notre responsabilité, quitte à nous déranger, à nous faire culpabiliser ou à nous décourager face à notre impuissance à proposer une alternative...

- Ensuite, elle résonne avec la réflexion de Michael Walzer sur les sphères de justice : l'Empire tel que conceptualisé ici est une concentration de pouvoirs de nature différente, et c'est cette concentration qui rend le pouvoir abusif, qui crée l'impérialisme dont nous parlons ici. De son côté, Walzer montre que la question de la justice ne peut pas être traitée par une égalité simple, car elle n'est pas qu'une question de répartition de biens, mais aussi de status, de réputation, etc..

Tout être humain interagit avec d'autres, échange des biens et des services, etc. Si on peut répartir les biens matériels équitablement à un instant "t", à l'instant "t+1", la répartition sera déjà différente car les besoins ou les stratégies des uns et des autres auront déjà entrainé des échanges et donc recréé de l'inégalité, les parcours auront déjà commencé à se différencier, et certains parcours amèneront à la réussite, d'autres à l'appauvrissement, bref, à une nouvelle situation d'inégalité...

De plus, il existe des inégalités "symboliques", par exemple selon le niveau de formation ou le statut social, ou selon qu'on est connu ou pas (célébrité), selon qu'on est citoyen ou résident avec ou sans papiers, etc. Bref, la question de la justice ne peut être abordée que de façon pluraliste, dans chacun de ces domaines (que Walzer appelle des "sphères de justice"). Chacun des domaines a son critère de répartition : l'argent pour la sphère économique, la piété pour la sphère religieuse, le mérite pour la sphère de la reconnaissance sociale, etc.

Pour Walzer, pour traiter la question de la justice, il faut distinguer les différentes sphères, les différents critères de répartition ; et même s'il y a un critère qui prédomine dans la société, il ne doit pas devenir hégémonique. Pour prendre un exemple : s'il est possible et acceptable - dans une certaine mesure - que certains aient plus d'argent que d'autres (le critère prédominant aujourd'hui en occident est l'argent), il est moins acceptable qu'avoir plus d'argent donne des droits dans d'autres domaines, par exemple des titres honorifiques (qui devraient être attribués selon le mérite et non selon la richesse d'une personne), ou de meilleurs soins médicaux (qui devraient être attribués selon la gravité de la maladie, et équitablement entre les patients au même degré de gravité, peu importe leur richesse). Les critères prédominants et les règles de répartition changent selon les périodes et les cultures, mais toujours, le sentiment d'injustice explose lorsqu'il y a collusion entre les différentes sphères.

La collusion de pouvoirs de natures différentes, qui rend les sphères trop poreuses et permet à ceux qui ont de l'argent et/ou le pouvoir de s'arroger des droits dans d'autres sphères que celles de l'économie ou du pouvoir est justement ce qui est dénoncé dans la notion d'Empire. Je pense que nous avons à entendre cela. Et il me semble que les Églises pourraient jouer un rôle pour mieux distinguer les sphères de justice (même s'il n'est jamais possible de les séparer complètement) et pour revaloriser la reconnaissance symbolique des personnes, par la mise en avant d'autres critères de répartition que celui de l'argent.

Claire Sixt Gateuille

lundi 27 mars 2017

Les réformés européens se préparent pour Leizig

Mutterhaus, ancienne maison de diaconesses à Düsseldorf
Vendredi, j'étais à Düsseldorf pour la rencontre de la CMER-Europe. Pour ceux qui sont peu familiers avec les innombrables sigles de nos relations internationales, la CMER est la Communion mondiale des Églises réformées ; sa région Europe se réunissait le 24 mars pour parler de l'assemblée générale qui aura lieu à Leipzig du 29 juin au 6 juillet. 

Nous étions accueillis à l’hôtel Mutterhaus, ancienne maison de diaconesses, aujourd'hui hôtel 4 étoiles avec plusieurs salles de conférences, mais toujours rattaché au diaconat de Kaiserswerth. Le directeur est venu nous présenter son histoire et l'ampleur des missions du diaconat (de l'enseignement au centre hospitalier, en passant par l'action sociale et l'accompagnement de migrants). 

Nous avons passé la matinée à discerner des candidats à présenter pour le comité exécutif qui sera élu à l'assemblée. Tous les candidats présentés par les Églises européennes sont de grande valeur, et les questions d'équilibres hommes/femmes, laïcs/ordonnés, - de 30 ans/+ de 30 ans seront probablement ce qui fera pencher la balance pour les uns ou les autres...

L'après-midi, Hanns Lessing, coordinateur de l'Assemblée générale, a présenté le programme et la méthode de travail de l'assemblée. La méthode envisagée semble très intéressante : le processus de décision par consensus, déjà adopté par le Conseil oecuménique des Eglises, sera ici complété par de nombreuses séances de travail en petits groupes, de façon à ce que chacun ait l'espace de s'exprimer, sans être freiné par le manque de temps, la timidité ou les problèmes linguistiques. les animateurs et rapporteurs des groupes auront donc un rôle important pour tirer la quintessence des débats en petits groupes et faire remonter l'essentiel de ce qui aura été partagé. Pour en savoir plus sur le processus de décision par consensus, voir mon article sur le blog des délégués français à l'assemblée du COE à Busan en 2013.

La méthode adoptée par la CMER pour s'associer à la Déclaration jointe sur la doctrine de la justification, signée en 1999 par les catholiques romains et les luthériens, a été questionnée (mais pas l'association elle-même). En effet, certaines Églises ont exprimé leur désaccord sur cette association, et de nombreuses autres n'ont pas répondu (5/6 des Églises membres ; les Églises ayant répondu sont très majoritairement européennes ou nord-américaines) ; cette association ne risque-t-elle pas de signifier une rupture de communion pour les Églises s'y opposant ? Un choix basé sur si peu de réponses n'est-il pas prématuré ? Bref, il a été exprimé l'importance pour les Églises qui y sont opposées de pouvoir exprimer leur position dans le texte même de la déclaration d'association.

Nos deux déléguées à l'Assemblée auront un programme chargé, du 28 juin au 7 juillet. Nous créerons probablement un blog pour partager nos impressions des deux assemblées mondiales de l'année, l'autre étant celle de la fédération mondiale, à laquelle je participerai, du 10 au 16 mai, à Windhoek, Namibie.
Claire Sixt Gateuille


lundi 6 mars 2017

Quel carème ?

Croix du Nivolet (c) www.chambery-tourisme.com
Depuis mercredi dernier, nous sommes entrés dans la période liturgique du carême, les 40 jours qui précèdent Pâques. Un temps d'attente, de méditation de la passion, de réflexion sur la condition humaine, sur le don de la vie, sur la mort aussi. 40 jours pour se préparer à accueillir le Christ ressuscité.

Le carême n'est pas une tradition réformée. Les premiers réformés pensaient qu'il fallait mettre la croix et la résurrection au centre de notre vie tous les jours, qu'elle était célébrée tous les dimanches et que les sacrifices personnels du carême étaient une façon de se justifier soi-même, qu'ils portaient le risque d'en venir à croire que nos efforts pourraient "acheter" notre salut, ou nous en rapprocher, au lieu de compter sur la grâce seule. Le piétisme puis l’œcuménisme nous font aujourd'hui redécouvrir les vertus du carême, comme temps de préparation intérieure, de prise de recul ou de changement de regard sur nous-même, de conversion, de réengagement dans la communauté humaine.

De nombreuses propositions nous sont faites pour ces 40 jours ; je n'en noterai ici que quelques unes en lien avec mes préoccupations (merci Jane Stranz de m'avoir transmis quelques pistes) : 
- Une réflexion sur l'eau, avec le Conseil œcuménique des Églises et le réseau œcuménique de l'eau (ROE), avec une méditation biblique par semaine : cliquer ici 
- un calendrier pour cheminer avec ses 5 sens et voyager dans le monde à la rencontre des petits producteurs agricoles (par Pain pour le prochain et Action de Carême, en Suisse) : cliquer ici 
- et bien sûr les conférences de Carême, qui portent cette année sur les Psaumes, à écouter (ou réécouter) au fur et à mesure sur France Culture.
- On peut compléter sur les psaumes avec des réflexions, des playlists (sélection de chansons, ici en lien avec le psaume du jour) et même parfois des vidéos grâce à Théotop.  
- Vous pouvez aussi tout simplement lire un Évangile durant ces quarante jours, par exemple Marc, conçu comme une grande montée vers Jérusalem et vers la croix, cela aide à se remettre en perspective... 
- Cette année étant la dernière avant très longtemps que nous avons une date de Pâques commune avec les orthodoxes, c'est aussi le moment de réfléchir à comment annoncer ensemble la résurrection.

Bon Carême ! 
Claire Sixt Gateuille
  
 

vendredi 10 février 2017

De l'utilité des rapports annuels...

Je suis actuellement dans une phase pas toujours drôle mais néanmoins essentielle et parfois très enrichissante de mon travail : la phase de collecte, correction (et parfois co-rédaction), traduction en anglais des rapports annuels de nos projets missionnaires soutenus par un organisme missionnaire norvégien. Ces rapports sont avant tout, il faut bien le dire, des démarches administratives, donc quelque chose d'un peu ennuyeux.

Implantation d’Église à Créteil
Mais ils sont aussi l'occasion de voir des projets avancer, de pouvoir évaluer les fruits d'initiatives missionnaires qui avancent, parfois laborieusement, parfois joyeusement. Dans certains cas (quand les rapports ne sont pas assez détaillés, par exemple), ils sont l'occasion de discuter avec les acteurs de terrain, de les aider à prendre de la distance par rapport à leur action quotidienne pour faire un bilan d'étape et prendre conscience des bénédictions qu'ils ont reçues dans leur mission, des remises en question auxquelles ils sont confrontés, des fruits qui s'épanouissent sur leur chemin. 

Je découvre des prises de conscience, des choix qui reconfigurent des Églises locales ou régionales, des développements inattendus, des frilosités transformées en enthousiasme sous l'action de l'Esprit. Je découvre des personnes engagées, prêtes à reconnaitre leur limites, qui comptent sur Dieu pour les guider et les inspirer. Je découvre des jeunes valorisés, des passants accueillis, des groupes fraternels, des occasions de se réjouir, etc. 

Et alors, au delà d'un rapport d'activité, je vois l'Esprit souffler où il veut, des gens être relevés, des coeurs touchés, des fraternités se tisser, la Parole être menée aux paroles. Finalement, des documents administratifs se transforment en beaux témoignages. Et cela donne sens à cette tache un peu ingrate, je rends grâce pour toutes ses personnes engagées et pour ce qu'ils arrivent à réaliser avec l'aide de Dieu. Et mon travail se transforme peu à peu en louange...

Claire Sixt Gateuille

mardi 24 janvier 2017

Moteur intérieur

Janvier : le mois de mon retour au bureau. Je dois avouer que l'organisation à mettre en place pour tout gérer m'a un peu angoissé... mais finalement, ça se passe "pas si mal"... La vraie question pour tenir dans le temps, ce n'est pas pour moi celle de l'organisation, c'est celle du moteur intérieur : c'est comment concilier mes responsabilités liées au ministère, ma vie de famille trépidante avec deux enfants dont un de 6 mois, tout en gardant de l'espace et du temps pour être nourrie spirituellement ? Je pense à ce qu'on dit de Luther, que lorsqu'il avait beaucoup de choses à faire dans la journée, il devait prendre plus de temps pour prier et méditer les écritures le matin. 

Prendre plus de temps pour prier... En décembre, j'ai reçu une petite carte : "Fraternité spirituelle des Veilleurs, carte d'observant". Comme chaque année, le moment de signer cette carte a été pour moi l'occasion de réfléchir à cet engagement de nourrir quotidiennement ma foi en priant trois fois par jour, en récitant les béatitudes à midi et en allant au culte le week-end dans la mesure du possible, ainsi qu'en essayant de vivre ces trois mots d'ordre : Joie, Simplicité, Miséricorde. 

Cet engagement que j'ai pris il y a déjà plus de dix ans, je n'arrive toujours pas vraiment à le tenir... Et pourtant, je le re-signe chaque année, à cause de cette promesse : "Mon amour te suffit. Ma puissance se montre vraiment quand tu es faible" (2 Co 12.9). Je ne suis pas une stakhanoviste de la vie spirituelle. Je ne la pratique pas comme on pratique le "développement intérieur", pour m'améliorer. Je la vis pour la rencontre avec celui qui m'appelle, me bénit et m'envoie. Je la vis pour retrouver et me rappeler ce qui donne sens à ma vie, pour laisser raisonner en moi l'appel de Dieu. Je prends du temps pour la nourrir parce que j'en ai besoin, tout simplement. Quand je me laisse déborder, je finis toujours par y revenir, parce que c'est le seul moyen que j'ai pour me ressourcer et tenir sur la distance. Pour continuer à être (à essayer d'être) constructive, ouverte, à l'écoute des autres et disponible au Saint Esprit. Pour laisser en moi se développer les fruits de l'esprit... 

Cette année, j'ai eu envie d'approfondir un peu les choses, et je suis remontée à la source du mouvement. Je suis entrée dans l'année 2017 en lisant "Silence et prière", écrit par le fondateur de la fraternité des Veilleurs, Wilfred Monod, en 1909. J'ai découvert dans ce livre un véritable accompagnement à s'ouvrir à la présence de Dieu dans notre vie. Avec un vocabulaire un peu désuet, et des chapitres courts, très efficaces, c'est un bon outil pour retrouver l'essentiel. Si vous trouvez ce livre dans un coin de bibliothèque paroissiale, n'hésitez pas à vous y plonger !

Claire Sixt Gateuille

P.S.: attention à ne pas confondre la "Fraternité spirituelle des veilleurs", fondée en 1923 par le pasteur Wilfred Monod, avec "les Veilleurs", ce mouvement de protestation né dans le sillage des manifestations contre le mariage pour tous en 2013.