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La notion d' "Empire" vous semble dater ? Pour vous, elle fleure bon l'exégèse historico-critique (le travail théologique sur le contexte dans lequel a été écrite la Bible et sur l'histoire de sa rédaction), ou l'histoire géo-politique (avec les empires romain, ottoman ou britannique, pour n'en citer que quelques uns au hasard) ? Il est grand temps de vous remettre à jour en matière de théologie réformée !
En effet, depuis quelques temps, et en particulier depuis la Confession d'Accra en 2004, la notion d'Empire revient au gout du jour dans les milieux réformés et œcuméniques mondiaux. Je vous invite d'ailleurs à lire l'article "Empire" de Philip Peacock, dans le livret de préparation en prière de la prochaine assemblée générale de la Communion mondiale des Églises réformées (téléchargeable sur son site).
Disons-le tout de suite, je n'adhère pas à tous ce qui est dit dans cet article, mais je pense qu'il est important de le lire pour comprendre la grille de lecture de l'état du monde qu'utilisent un certain nombre d’Églises du Sud. Au-delà des tics de langage, au-delà d'une critique trop simpliste de l'économie de marché et d'une désignation du "complexe militaro-industriel" (sic) comme le grand manipulateur mondial, ce qui me semble caricatural, cette notion a des choses à nous dire.
l'Empire, nous dit l'article, est un concept post-colonial, un outil herméneutique permettant de dénoncer la dynamique de pouvoir dans laquelle nous sommes englués sans toujours nous en rendre compte, un symbole qui aide à comprendre l'état actuel du monde. Ce concept désigne une concentration de pouvoirs de nature différente, une logique de domination qui se présente comme une forme de bon sens, un système englobant et une structure qui s'adaptent perpétuellement et s'imposent jusqu'à devenir un système de pensée, empêchant toute remise en question.
l'Empire, nous dit l'article, est un concept post-colonial, un outil herméneutique permettant de dénoncer la dynamique de pouvoir dans laquelle nous sommes englués sans toujours nous en rendre compte, un symbole qui aide à comprendre l'état actuel du monde. Ce concept désigne une concentration de pouvoirs de nature différente, une logique de domination qui se présente comme une forme de bon sens, un système englobant et une structure qui s'adaptent perpétuellement et s'imposent jusqu'à devenir un système de pensée, empêchant toute remise en question.
Cette notion d'Empire, me parle pour deux raisons, elle rejoint deux problématiques qui me travaillent actuellement :
- Tout d'abord, elle résonne avec la notion de "système technicien" que dénonce Ellul. Elle se pare des attributs du bon sens (ces "lieux communs" qu'Ellul décortique dans Exégèse des nouveaux lieux communs), de l'efficacité et de la technicité qui nous pousse à faire confiance à des experts pour prendre en charge notre organisation sociale, nos productions, notre responsabilité politique, notre vie intime parfois même, jusqu'à nous conditionner, nous faire penser que c'est mieux comme ça, plus simple et plus reposant, et à nous déresponsabiliser des conséquences de cette délégation. La notion d'Empire vient ici comme un aiguillon nous réveiller de notre torpeur en nous rappelant que choisir le confort et/ou le mode de vie dominant, c'est encore faire un choix (et non une nécessité qui ferait force de loi). Dans un système où la technique s'entretient et se développe elle-même sans fin si elle n'est pas interrogée, neutralité vaut acquiescement. La notion d'Empire nous rappelle notre appartenance au système, notre responsabilité, quitte à nous déranger, à nous faire culpabiliser ou à nous décourager face à notre impuissance à proposer une alternative...
- Ensuite, elle résonne avec la réflexion de Michael Walzer sur les sphères de justice : l'Empire tel que conceptualisé ici est une concentration de pouvoirs de nature différente, et c'est cette concentration qui rend le pouvoir abusif, qui crée l'impérialisme dont nous parlons ici. De son côté, Walzer montre que la question de la justice ne peut pas être traitée par une égalité simple, car elle n'est pas qu'une question de répartition de biens, mais aussi de status, de réputation, etc..
Tout être humain interagit avec d'autres, échange des biens et des services, etc. Si on peut répartir les biens matériels équitablement à un instant "t", à l'instant "t+1", la répartition sera déjà différente car les besoins ou les stratégies des uns et des autres auront déjà entrainé des échanges et donc recréé de l'inégalité, les parcours auront déjà commencé à se différencier, et certains parcours amèneront à la réussite, d'autres à l'appauvrissement, bref, à une nouvelle situation d'inégalité...
De plus, il existe des inégalités "symboliques", par exemple selon le niveau de formation ou le statut social, ou selon qu'on est connu ou pas (célébrité), selon qu'on est citoyen ou résident avec ou sans papiers, etc. Bref, la question de la justice ne peut être abordée que de façon pluraliste, dans chacun de ces domaines (que Walzer appelle des "sphères de justice"). Chacun des domaines a son critère de répartition : l'argent pour la sphère économique, la piété pour la sphère religieuse, le mérite pour la sphère de la reconnaissance sociale, etc.
Pour Walzer, pour traiter la question de la justice, il faut distinguer les différentes sphères, les différents critères de répartition ; et même s'il y a un critère qui prédomine dans la société, il ne doit pas devenir hégémonique. Pour prendre un exemple : s'il est possible et acceptable - dans une certaine mesure - que certains aient plus d'argent que d'autres (le critère prédominant aujourd'hui en occident est l'argent), il est moins acceptable qu'avoir plus d'argent donne des droits dans d'autres domaines, par exemple des titres honorifiques (qui devraient être attribués selon le mérite et non selon la richesse d'une personne), ou de meilleurs soins médicaux (qui devraient être attribués selon la gravité de la maladie, et équitablement entre les patients au même degré de gravité, peu importe leur richesse). Les critères prédominants et les règles de répartition changent selon les périodes et les cultures, mais toujours, le sentiment d'injustice explose lorsqu'il y a collusion entre les différentes sphères.
La collusion de pouvoirs de natures différentes, qui rend les sphères trop poreuses et permet à ceux qui ont de l'argent et/ou le pouvoir de s'arroger des droits dans d'autres sphères que celles de l'économie ou du pouvoir est justement ce qui est dénoncé dans la notion d'Empire. Je pense que nous avons à entendre cela. Et il me semble que les Églises pourraient jouer un rôle pour mieux distinguer les sphères de justice (même s'il n'est jamais possible de les séparer complètement) et pour revaloriser la reconnaissance symbolique des personnes, par la mise en avant d'autres critères de répartition que celui de l'argent.
Tout être humain interagit avec d'autres, échange des biens et des services, etc. Si on peut répartir les biens matériels équitablement à un instant "t", à l'instant "t+1", la répartition sera déjà différente car les besoins ou les stratégies des uns et des autres auront déjà entrainé des échanges et donc recréé de l'inégalité, les parcours auront déjà commencé à se différencier, et certains parcours amèneront à la réussite, d'autres à l'appauvrissement, bref, à une nouvelle situation d'inégalité...
De plus, il existe des inégalités "symboliques", par exemple selon le niveau de formation ou le statut social, ou selon qu'on est connu ou pas (célébrité), selon qu'on est citoyen ou résident avec ou sans papiers, etc. Bref, la question de la justice ne peut être abordée que de façon pluraliste, dans chacun de ces domaines (que Walzer appelle des "sphères de justice"). Chacun des domaines a son critère de répartition : l'argent pour la sphère économique, la piété pour la sphère religieuse, le mérite pour la sphère de la reconnaissance sociale, etc.
Pour Walzer, pour traiter la question de la justice, il faut distinguer les différentes sphères, les différents critères de répartition ; et même s'il y a un critère qui prédomine dans la société, il ne doit pas devenir hégémonique. Pour prendre un exemple : s'il est possible et acceptable - dans une certaine mesure - que certains aient plus d'argent que d'autres (le critère prédominant aujourd'hui en occident est l'argent), il est moins acceptable qu'avoir plus d'argent donne des droits dans d'autres domaines, par exemple des titres honorifiques (qui devraient être attribués selon le mérite et non selon la richesse d'une personne), ou de meilleurs soins médicaux (qui devraient être attribués selon la gravité de la maladie, et équitablement entre les patients au même degré de gravité, peu importe leur richesse). Les critères prédominants et les règles de répartition changent selon les périodes et les cultures, mais toujours, le sentiment d'injustice explose lorsqu'il y a collusion entre les différentes sphères.
La collusion de pouvoirs de natures différentes, qui rend les sphères trop poreuses et permet à ceux qui ont de l'argent et/ou le pouvoir de s'arroger des droits dans d'autres sphères que celles de l'économie ou du pouvoir est justement ce qui est dénoncé dans la notion d'Empire. Je pense que nous avons à entendre cela. Et il me semble que les Églises pourraient jouer un rôle pour mieux distinguer les sphères de justice (même s'il n'est jamais possible de les séparer complètement) et pour revaloriser la reconnaissance symbolique des personnes, par la mise en avant d'autres critères de répartition que celui de l'argent.
Claire Sixt Gateuille
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