mercredi 2 décembre 2015

Cheminer - partie 2

(c) Patrick Royer, Mille images symboliques
Le chemin des disciples à la suite de Jésus est ponctué d’enseignements et d’expériences, mais aussi de quiproquos, d’incompréhensions, de remises en perspectives. Comme le chemin, l’enseignement de Jésus se fait par étapes. La tempête apaisée (Mt 8.23-27) en est une. Elle montre que les disciples ne font pas seulement un chemin géographique, ni même un chemin pédagogique, mais aussi un chemin existentiel. La crise, le « séisme » (mot grec qui désigne la tempête dans le texte) qu’est cette tempête révèle des interrogations existentielles : « quel est notre avenir ? », « qui est cet homme que nous suivons ? » ; d’autres textes seront en feront surgir d'autres : « quelle est ma place ? » (Dispute pour savoir qui est le plus important) ou « d’où vient son autorité ? »… Or la réponse à une question existentielle ne peut se trouver en 5 mn, ni une fois pour toutes. D’où l’importance du cheminement, pour prendre le temps d’approfondir l’enseignement ; pour prendre le temps de se laisser travailler par l’Esprit saint, aussi.

Les tours et les détours de Jésus avec ses disciples, en Galilée, dans la décapole, en Judée et aux alentours apportent deux choses essentielles au cheminement :
1. La première, ce sont les rencontres. La rencontre avec Jésus est décisive, car elle met en route les disciples, mais d’autres rencontres vont se révéler déterminantes. Nous verrons dimanche comment une femme a changé le ministère de Jésus… mais d’autres rencontres moins radicales sont aussi essentielles : les pharisiens et les maitres de la loi, qui engagent souvent la conversation de manière polémique, mais qui permettent à Jésus de préciser son enseignement, et aux disciples de percevoir les décalages entre l’enseignement « officiel » et celui de Jésus. Ces polémiques leur permettent de se déplacer de ce qu’on leur a enseigné, qui agit comme une grille de lecture inconsciente dans leur compréhension du ministère de Jésus, à ce que Jésus vit en réalité, dans son intimité avec le Père et dans son exemple de vie.

Il y a aussi la rencontre avec les personnes malades ou possédées, les personnes en marge, les petits. C’est leur fréquentation et l’attitude de Jésus envers eux qui va travailler intérieurement les disciples au moins autant que le sermon sur la montagne (qui se trouve entre nos deux textes). C’est la fréquentation des personnes en marge qui peut nous changer intérieurement plus sûrement tous les discours que nous pourrions faire sur l’intégration et l’Église ouverte. Le dernier texte du COE sur la mission nous appelle non plus à faire de la mission auprès d’eux, mais à accepter de nous laisser missionner par eux, à accepter d’apprendre d’eux, d’être enseignés par leur expérience, par leur combat pour la vie. Bref, les rencontres sont décisives, rencontre avec Jésus, rencontre des disciples entre eux, rencontre avec tous ceux que leur chemin croise.

2. La deuxième chose essentielle au cheminement, c’est le temps. Le temps, qui permet de découvrir les reliefs, les accentuations différentes, les nuances, et n’en reste pas à la surface et aux contours des enseignements de Jésus… Le temps du cheminement avec Jésus permet une rencontre en profondeur, en intimité… Il y a des choses qu’on nous dit, qu’on entend, mais seul le temps peut nous travailler en profondeur, comme le soc d’une charrue, et faire entrer en nous plus profondément la graine qui sinon resterait posée à la surface de notre paysage intérieur.

C’est pourquoi le cheminement des disciples avec Jésus est une marche au long cours qui, comme toute marche, ne peut se faire qu’on pas à la fois. La marche est marquée par la lenteur ; et la lenteur est un lieu de maturation. La fréquentation d’un groupe au long cours nous apprend à connaître l’autre, à nous adapter à lui et à son rythme. La fréquentation d’un territoire, d’un environnement à la fois semblable et varié, parce que parcouru à petite vitesse, peut nous ouvrir à plus d’attention aux autres et à notre environnement. La marche nous apprend le chemin. Un proverbe latino-américain dit même que « la marche fait le chemin ».

(c) Patrick Royer, Mille image symboliques
Pour nous, Église du 21e siècle, notre terre de pèlerinage est double, il y a « les écritures » et le monde dans lequel nous vivons. Ce ne sont pas deux mondes séparés, mais deux mondes qui s’interpellent et s’interprètent mutuellement.

La Bible est une contrée, un paysage, un pays qui nous invite à le parcourir, à y cheminer, qui se laisse découvrir avec le temps. Cette contrée qui nous parle d’un Autre… engageons-nous dans les pas de cet Autre, qui peut en écho éclairer nos chemins intérieurs. C’est dans ce chemin que la communauté se crée : tous rassemblés sur ce même chemin de lecture et d’interprétation, tous appelés par le Saint Esprit à partager ce que nous avons reçu de lui, tous remis en route par notre Sauveur.

La Bible nous offre, comme au temps de Jésus, des rencontres et du temps. Des rencontres avec des témoins bibliques et des rencontres avec d’autres lecteurs, ceux de notre temps, ceux avec qui nous prenons du temps pour l’écouter, la lire, l’interpréter et se laisser interpréter par elle. Car la Bible nous offre aussi une troisième chose : un « monde » du texte, qui vient interpréter notre cheminement, notre récit de vie, qui peut nous proposer d’autres choix, d’autres alternatives, d’autres voies que celles que le quotidien nous impose. Un monde du texte qui peut devenir acteur de notre vie, ou nous rendre à nouveau acteurs de notre vie, et qui toujours, nous appelle à cheminer.

Claire Sixt Gateuille

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