mardi 17 mars 2015

Animation theologique et "Capacitación"

Capacitación en espagnol
Empowerment en anglais
"Renforcement des capacités" en français

Le vocabulaire français parait un peu technique comparé à la dynamique des mots espagnol et anglais. L'idée est de donner la capacité aux gens de pouvoir faire les choses par eux-mêmes, pour eux-mêmes.

Lorsque j'étais enfant, un proverbe concernant la mission revenait souvent : "donne un poisson à quelqu'un, il mangera un repas ; apprends-lui à pécher, il mangera toute sa vie". Selon la philosophie du "Renforcement des capacités", ce serait plutôt : "apprends-lui les différentes techniques de pêche, aide-le à développer sa capacité à trouver celle qui fonctionnera le mieux dans son environnement et sa créativité pour qu'il invente par lui-même de nouveaux modes de pêche si besoin, dans une démarche durable". 

Former les gens non pas pour qu'ils répètent ce qu'ils ont appris mais qu'ils l'intègrent, le digèrent et l'interprètent pour leur contexte, de façon à pouvoir ensuite créer ou trouver les outils les plus pertinents pour leur contexte et qu'ils puissent devenir formateurs à leur tour, tel est l'esprit de la démarche.

C'est résolument dans cette démarche que se place la nouvelle brochure d'animation théologique produite par la Cevaa et désormais téléchargeable ici. Apprendre des outils d'animation de groupe, des techniques qui aident les gens à entrer dans le texte biblique ; leur permettre de lire et de réfléchir par eux-mêmes, en communauté, de trouver comment le texte biblique - ou le questionnement théologique - rejoint leur vécu : tels sont quelques-uns des objectifs de cette brochure. Pour la Cevaa, l'animation théologique est "une pédagogie de l'expérience", et toute expérience est influencée par le contexte dans lequel elle est menée. 

Cette brochure a été produite pour s'adresser à un public multi-culturel. Aussi peut-on parfois y trouver un décalage avec notre approche plus européenne, où l'on différencie les objectifs de l'animation (nous partons du principe que les participants sont libres de s'approprier l'animation comme ils le souhaitent, il n'y a pas de "bonne lecture" du texte biblique, seulement des lectures possibles et d'autres qui ne sont pas fidèles au texte) et convictions de la Cevaa (par exemple "Découvrir que la femme n'est pas une créature inférieure à l'homme" p.123 de la brochure ou "Intéresser les Églises aux questions du développement", p.187). Mais cela ne lui enlève pas sa valeur, nécessite tout au plus quelques ajustements.

Une formation aura lieu en juin à Porto-Novo, organisée par la Cevaa, pour des animateurs théologiques (2 par Église-membre), avec charge à eux de faire ensuite connaitre cette brochure, l'utiliser et former d'autres à son utilisation. Parmi les modules de cette formation, la résolution des conflits, le développement holistique (qui prend en compte toute la personne et ses relations, pas seulement ses capacités économiques ou productives), les techniques de l'information et de la communication... Bref, une approche très large de l'animation théologique et de comment elle s'insère dans le reste de la vie de l'Eglise et de la mission. 

Pour compléter la brochure, des fiches ont été produites à l'occasion des 40 ans de la Cevaa (en 2012). Elles ne proposent pas d'animation, mais permettent de mieux comprendre la Cevaa, ses objectifs, ses moyens, son identité spécifique. On peut les trouver ici.

Pour compléter les outils francophones d'animation biblique, on pourra consulter le site http://animationsbibliques.org/ qui propose lui aussi des méthodes d'animation biblique et des animations clés-en-main. Celles-ci ont été produites en contexte français.

Claire Sixt Gateuille

mercredi 4 mars 2015

Nationalisme, bon ou mauvais ?

Assembly Building à Belfast (c) CSG
La rencontre de la région Europe de la Communion mondiale des Églises réformées (CMER) a eu lieu à Belfast, les 19-20 février dernier.

Cette rencontre d'une quarantaine de participants a permis de découvrir la réalité de l’Église presbytérienne d'Irlande, de partager des nouvelles des différentes Églises, leurs difficultés et leurs dynamiques, et d'aborder un thème qui aurait mérité bien plus que la demi-journée que nous y avons consacré : "théologie et nationalisme en Europe".

Presbyterian Church of Irland
l'Eglise presbytérienne d'Irlande couvre l'Irlande du Nord et l'Eire, elle compte environ 550 paroisses et 400 pasteurs. Elle a actuellement plus de candidats au ministère qu'elle ne peut en payer... Mais la sécularisation est en Irlande, comme ailleurs, en forte croissance. Les communautés confessionnelles qui étaient des lieux de refuge pendant le conflit en Irlande du Nord sont maintenant affaiblies par le départ de ceux qui y venaient sans y être vraiment engagés. Mais le conflit a laissé des traces, les gens cohabitant sans qu'il y ait vraiment de rencontre. Par exemple les nouveaux quartiers qui se sont construit après le conflit gardent une séparation très marquée entre "quartiers protestants" et "quartiers catholiques"...

Ce qui est encourageant, c'est que le déclin s'accompagne d'une volonté de la part des Églises locales d'être plus fidèles à l’Évangile, plus actifs dans le service et le témoignage. Cela entraîne une dynamique de renouveau dans un certain nombre de lieux.

Les projets en cours
Cette rencontre a été également un temps pour partager sur tout ce qui se prépare actuellement, en particulier les projets pour 2017 à Wittemberg et au niveau du réseau des cités européennes de la Réforme (mis en place par la Communion des Eglises protestantes en Europe), et avec l'idée d'un Kirchentag européen qui est en train de se mettre en place.

La présence de Christ Ferguson, nouveau secrétaire général de la CMER, a permis à celui-ci de se présenter et d'aborder les réalisations de 2014, dont l'Institut théologique mondial qui a réuni 50 jeunes pour une formation d'un mois à l'été 2014 et la consultation pour les 10 ans de la confession d'Accra, et les perspectives pour 2015. 

Identité nationale, identité européenne et le rôle des Églises réformées
Doug Gay, Trinity College de Glasgow
Tel était le sous-titre de l'intervention de Doug Gay, théologien écossais ayant beaucoup travaillé le thème du nationalisme, qui était notre intervenant. Il a commencé par nous interroger : le nationalisme est-il forcément mauvais ? Oui, si l'on présuppose un déficit éthique (le nationalisme comme forme de "supériorité") ; Non, si on le comprend comme l'attachement à la nation (définition neutre) et qu'on le distingue de ses dérives violentes, xénophobes ou excluantes.

Pour Doug Gay, l'opposition théologique forte au nationalisme développée contre le fascisme et le nazisme dans les années 30-40 est restée très ancrée dans nos cultures européennes, alors que la quête d'identité qui travaille nos contemporains pose aussi la question de l'identité nationale. Mais aujourd'hui, évacuer simplement le nationalisme comme quelque chose de mal nous empêche de le voir comme une réalité humaine ambiguë, comme toutes les réalités humaine, avec ses risques mais aussi son potentiel mobilisateur fort. Travailler de l'intérieur le nationalisme, pour l'irriguer théologiquement, c'est selon Doug Gay discipliner (dans le sens de "rendre disciple") ce vecteur fort d'identité pour le rendre humble, respectueux des autres, critiquer et désamorcer les "identités nationales toxiques" et permettre une coexistence pacifique.

Il a enfin proposé des critères d'évaluation du nationalisme, selon la place qu'il fait aux autres (immigrants par exemples), selon son acceptation des narrations universelles (les droits de l'homme, par exemple), selon la place qu'il fait à l'amour du prochain... En tout cas, il m'a donné envie de lire son livre Honey from the lion, Christianity and the ethics of nationalism, écrit dans le contexte du débat écossais sur l'indépendance du pays.

Bien sûr, son intervention a résonné fortement avec mes lectures actuelles du philosophe Michael Walzer et comment il traite la question de l'articulation entre appartenance à un groupe (religieux ou culturel, communautaire) et appartenance à un pays, articulation pensée différemment selon qu'on est dans un état-nation, comme la France et la plupart des états d'Europe, ou dans une société d'immigration comme aux Etats-Unis. Walzer propose que l'état soutienne les groupes "communautaires" qui choisissent de jouer le jeu de la démocratie et proposent une identité ouverte à leurs membres. Et il rappelle que la société civile est un lieu de coexistence pour ces groupes. On est loin de la position intégratrice de la France, parfois défendue avec des accents autoritaires depuis les attentats du 7 janvier...

Bref, cette question est d'autant plus d'actualité avec la montée de nationalismes populistes en Europe et le départ de jeunes européens pour le djihad au Moyen-Orient. 

Claire Sixt Gateuille