Suite à un vœu du synode national de Lyon en 2013, l’Église
protestante unie de France a fait paraitre un dossier sur le sujet du
transhumanisme dans sa revue Information-Evangélisation de mai 2014. Mais notre Église n’est pas la seule à se pencher sur la question. La Conférence des Églises européennes (KEK) a édité en 2012 une brochure de près de 300 pages (en
anglais), intitulée Human Enhancement (amélioration
de l’être humain en Français), sur le sujet, abordant différents points de vue : celui des institutions, celui de
la science et de la médecine, celui de l’éthique et de la théologie.
Cet été, j’ai eu la chance d’assister au synode des Eglises
vaudoise et méthodiste d'Italie, où le texte « Ragioni e limiti del potenziamento umano ; Riflessioni sul ruolo sociale delle biotecnologie » de la commission de
bioéthique commune aux Églises vaudoise, méthodiste et baptiste, a été présenté (en
français, Raisons et limites de
l’amélioration humaine ; réflexion sur le rôle social des biotechnologies).
Ce texte en trois parties commence par présenter les différentes dimensions
vers lesquelles se développe cette « amélioration », du traitement
des maladies aux capacités mémorielles en passant par l’aspect esthétique et
l’allongement de la durée de vie. Il présente ensuite les débats éthiques,
philosophiques et anthropologiques qu’elle soulève et finit par donner quelques
pistes théologiques, spirituelles et éthiques.
Voici les grandes idées de la
3e partie, qui me semble bien résumer les enjeux :
- La question du potenziamento umano interroge la
théologie et en particulier la vision de l’être humain (anthropologie) dans une
perspective chrétienne. Elle ne peut pas se traiter une fois pour toute avec
des grands principes mais nécessite une attention constante au contexte et des
réponses toujours circonstanciées. Elle demande une vigilance critique de la
part des Églises et une réflexion éthico-philosophique capable d’offrir des éléments
de sens, des critères d’analyse au croyant confronté à ces questions.
- La principale problématique concernant
cette question au regard du christianisme est la place de la finitude dans la
conception de la vie (imperfection, maladie, mort). L’imperfection et la
finitude sont des marques de l’être humain, mais aussi de toute réalité créée
(la création). Il faut donc distinguer entre le désir légitime d’une
amélioration des conditions de vie et la recherche questionnable d’un idéale de
perfection humaine.
- Offrir un meilleur bien-être,
promouvoir la vie et la santé sur terre est intéressant et louable et les Églises ne devraient pas en avoir peur. Promouvoir un être humain qui serait
pleinement « accompli » donc parfait, c’est au contraire offrir un
autre salut, un nouveau sens à l’existence humaine, et les Églises doivent
dénoncer l’ambiguïté de ce genre d’attitude.
- La foi chrétienne est elle-même
proposition d’une amélioration de la vie humaine, non pas par des moyens
techniques mais comme offre de vie en plénitude (la « vie
éternelle »).
- La Bible propose une vision
unifiée de l’être humain, et non pas une vision fractionnée entre corps, âme et
esprit ni en différentes parties du corps, différentes capacités ou différentes
sphères de relations. La Bible interpelle donc le transhumanisme au même titre
que tout autre « mode d’être dans le monde ».
- Pour le christianisme, ce qui « améliore »
l’être humain (le terme italien de potenziamento
évoque l’épanouissement du potentiel), c’est l’œuvre de l’Esprit Saint. Celui-ci
donne « puissance » aux disciples (voir le livre des Actes). Mais ce
don se fait dans une double perspective : d’abord l’Esprit saint ne
favorise pas les privilégiés, mais les défavorisés ; ensuite, ce don vise
au bien commun. Cela interroge la tendance des nouvelles technologies à
favoriser toujours ceux qui peuvent se les offrir, accroissant ainsi les
inégalités. Mais aussi les priorités fixées en matière d’allocation de
ressources à la recherche. Les prophètes de l’ancien testament se levaient déjà
contre une gestion contestable des ressources disponibles, les Églises doivent
critiquer la tendance (du transhumanisme et des politiques de financement de la
recherche en général) à avantager les privilégiés et à nier aux autres l’opportunité
d’en bénéficier.
- La créativité humaine est une
bénédiction, elle est le signe que l’être humain est créé à l’image de Dieu.
Mais elle doit se rappeler qu’elle est « créativité créée » et non « créativité
originelle ». Aussi doit-elle prendre en compte l’aspect de finitude
inhérente à toute vie créée. La mission de la théologie est donc d’interroger
de façon critique les idéologies qui traversent le transhumanisme et la
recherche dans ces domaines pour dénoncer le glissement de l’homo faber à l’homo fabricatus et la prétention à passer de créature créative à
créature toute-puissante (que l’on retrouve dans la problématique du péché) et
ses effets néfastes pour l’humanité.
- La volonté de s’améliorer doit
toujours s’articuler avec la volonté de prendre conscience de ses propres
contradictions (le texte fait ici référence au philosophe Michaël Sandel). La bénédiction
ne peut se recevoir que dans ce cadre, cette tension (que Luther exprime
autrement par « à la fois juste et pécheur » ou Calvin avec son 3e
usage de la loi qui n’existe qu’articulé aux deux premiers, NdB). Les règles
sociales, le débat public, le droit sont là pour apporter cette contradiction à
la volonté de puissance et au rappel de la contingence. L’Église a un rôle à
jouer pour apporter cette contradiction.
Pour l’anecdote – mais pas seulement – il est
intéressant de voir les termes que les différentes langues ont choisis :
l’anglais, avec son Human Enhancement, affirme clairement une
amélioration, une augmentation, une valeur ajoutée ; l’italien, avec son potenziamento umano, qui évoque le renforcement, le développement
et/ou l’amélioration de l’humain, lui emboite le pas. Le français, avec le
terme de « transhumanisme », est beaucoup plus circonspect, même si
certains lui préfèrent l’expression « humanité augmentée », calquée
sur l’anglais et qui insiste sur l'humanité !
Claire Sixt Gateuille
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