vendredi 7 novembre 2014

Transhumanisme, être et développement des potentialités

Suite à un vœu du synode national de Lyon en 2013, l’Église protestante unie de France a fait paraitre un dossier sur le sujet du transhumanisme dans sa revue Information-Evangélisation de mai 2014. Mais notre Église n’est pas la seule à se pencher sur la question. La Conférence des Églises européennes (KEK) a édité en 2012 une brochure de près de 300 pages (en anglais), intitulée Human Enhancement (amélioration de l’être humain en Français), sur le sujet, abordant différents points de vue : celui des institutions, celui de la science et de la médecine, celui de l’éthique et de la théologie.

Cet été, j’ai eu la chance d’assister au synode des Eglises vaudoise et méthodiste d'Italie, où le texte « Ragioni e limiti del potenziamento umano ; Riflessioni sul ruolo sociale delle biotecnologie » de la commission de bioéthique commune aux Églises vaudoise, méthodiste et baptiste, a été présenté (en français, Raisons et limites de l’amélioration humaine ; réflexion sur le rôle social des biotechnologies). Ce texte en trois parties commence par présenter les différentes dimensions vers lesquelles se développe cette « amélioration », du traitement des maladies aux capacités mémorielles en passant par l’aspect esthétique et l’allongement de la durée de vie. Il présente ensuite les débats éthiques, philosophiques et anthropologiques qu’elle soulève et finit par donner quelques pistes théologiques, spirituelles et éthiques.

Voici les grandes idées de la 3e partie, qui me semble bien résumer les enjeux :
- La question du potenziamento umano interroge la théologie et en particulier la vision de l’être humain (anthropologie) dans une perspective chrétienne. Elle ne peut pas se traiter une fois pour toute avec des grands principes mais nécessite une attention constante au contexte et des réponses toujours circonstanciées. Elle demande une vigilance critique de la part des Églises et une réflexion éthico-philosophique capable d’offrir des éléments de sens, des critères d’analyse au croyant confronté à ces questions.

- La principale problématique concernant cette question au regard du christianisme est la place de la finitude dans la conception de la vie (imperfection, maladie, mort). L’imperfection et la finitude sont des marques de l’être humain, mais aussi de toute réalité créée (la création). Il faut donc distinguer entre le désir légitime d’une amélioration des conditions de vie et la recherche questionnable d’un idéale de perfection humaine.

- Offrir un meilleur bien-être, promouvoir la vie et la santé sur terre est intéressant et louable et les Églises ne devraient pas en avoir peur. Promouvoir un être humain qui serait pleinement « accompli » donc parfait, c’est au contraire offrir un autre salut, un nouveau sens à l’existence humaine, et les Églises doivent dénoncer l’ambiguïté de ce genre d’attitude.

- La foi chrétienne est elle-même proposition d’une amélioration de la vie humaine, non pas par des moyens techniques mais comme offre de vie en plénitude (la « vie éternelle »).

- La Bible propose une vision unifiée de l’être humain, et non pas une vision fractionnée entre corps, âme et esprit ni en différentes parties du corps, différentes capacités ou différentes sphères de relations. La Bible interpelle donc le transhumanisme au même titre que tout autre « mode d’être dans le monde ».

- Pour le christianisme, ce qui « améliore » l’être humain (le terme italien de potenziamento évoque l’épanouissement du potentiel), c’est l’œuvre de l’Esprit Saint. Celui-ci donne « puissance » aux disciples (voir le livre des Actes). Mais ce don se fait dans une double perspective : d’abord l’Esprit saint ne favorise pas les privilégiés, mais les défavorisés ; ensuite, ce don vise au bien commun. Cela interroge la tendance des nouvelles technologies à favoriser toujours ceux qui peuvent se les offrir, accroissant ainsi les inégalités. Mais aussi les priorités fixées en matière d’allocation de ressources à la recherche. Les prophètes de l’ancien testament se levaient déjà contre une gestion contestable des ressources disponibles, les Églises doivent critiquer la tendance (du transhumanisme et des politiques de financement de la recherche en général) à avantager les privilégiés et à nier aux autres l’opportunité d’en bénéficier.

- La créativité humaine est une bénédiction, elle est le signe que l’être humain est créé à l’image de Dieu. Mais elle doit se rappeler qu’elle est « créativité créée » et non « créativité originelle ». Aussi doit-elle prendre en compte l’aspect de finitude inhérente à toute vie créée. La mission de la théologie est donc d’interroger de façon critique les idéologies qui traversent le transhumanisme et la recherche dans ces domaines pour dénoncer le glissement de l’homo faber à l’homo fabricatus et la prétention à passer de créature créative à créature toute-puissante (que l’on retrouve dans la problématique du péché) et ses effets néfastes pour l’humanité.

- La volonté de s’améliorer doit toujours s’articuler avec la volonté de prendre conscience de ses propres contradictions (le texte fait ici référence au philosophe Michaël Sandel). La bénédiction ne peut se recevoir que dans ce cadre, cette tension (que Luther exprime autrement par « à la fois juste et pécheur » ou Calvin avec son 3e usage de la loi qui n’existe qu’articulé aux deux premiers, NdB). Les règles sociales, le débat public, le droit sont là pour apporter cette contradiction à la volonté de puissance et au rappel de la contingence. L’Église a un rôle à jouer pour apporter cette contradiction.



Pour l’anecdote – mais pas seulement – il est intéressant de voir les termes que les différentes langues ont choisis : l’anglais, avec son Human Enhancement, affirme clairement une amélioration, une augmentation, une valeur ajoutée ; l’italien, avec son potenziamento umano, qui évoque le renforcement, le développement et/ou l’amélioration de l’humain, lui emboite le pas. Le français, avec le terme de « transhumanisme », est beaucoup plus circonspect, même si certains lui préfèrent l’expression « humanité augmentée », calquée sur l’anglais et qui insiste sur l'humanité !


Claire Sixt Gateuille

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