Budapest 2013 (c) Claire Sixt Gateuille |
C'était durant le 1er comité central de la Conférence des Églises européennes (KEK) auquel j'ai participé en 2009. En fait, c'était plus
précisément durant la réunion confessionnelle qui a eu lieu juste avant que le
Comité central commence. A l'époque, le premier comité central de la mandature
avait lieu plusieurs mois après l'assemblée générale, et un présidium intérim
était mis en place entretemps. Cette réunion confessionnelle avait lieu afin de
choisir le co-président de cette confession et les candidats au comité exécutif
et des commissions de travail. L'idée était de choisir un nombre de candidats
équivalents aux places disponibles pour chaque confession et aux différents
quotas, afin que les élections "officielles" du lendemain en comité central
soient plus rapides, et accessoirement pour éviter que les confessions n'étalent
devant les autres leurs dissensions internes...
Quelques semaines avant cette réunion, le co-président protestant par intérim m'avait appelée pour me demander de candidater au Comité exécutif. J'avais accepté, considérant que s'il me demandait de candidater, c'est qu'il m'estimait compétente pour ce poste. Dans l’Église réformée de France, mon Église telle qu'elle se nommait à l'époque, nous av(i)ons cette culture de ne pas nous mettre en avant, de ne pas candidater spontanément mais d'accepter si nous sommes appelé(e) à prendre une responsabilité, et de candidater seulement si quelqu'un d'autre nous y appelle ou nous y invite. C'est notre façon d'incarner l'idée de "vocation externe".
Le jour de la réunion, nous faisons le tour de la table des candidats pour le comité exécutif, et là, surprise, une autre jeune femme, d'un pays de l'Est, candidate en plus des 4 personnes qui avaient été appelées. Il y a donc un candidat de trop, et la candidate "spontanée" correspond exactement à mon profil en termes de quotas (jeune, femme, Église minoritaire, même s'il n'y a pas de quota pour cette dernière catégorie), elle est donc en concurrence avec moi. La candidate présente son expérience et ses motivations, elle en a plus que moi. Le co-président se retourne alors vers moi et me dit, devant tout le monde : "et toi, pourquoi as-tu candidaté ?". Je me retrouve pétrifiée, me demandant ce que je fais là, bafouillant en anglais, me sentant misérable et incapable de répondre à une question à laquelle ma culture d’Église ne m'a jamais préparée. Bien sûr, l'autre candidate est élue, et l'on m'attribue, comme "lot de consolation", une place dans le comité de dialogue avec les catholiques.
CC-KEK Crète 2012 (c) CSG |
Je n'en ai quasiment pas dormi de la nuit ; les gens présents ont attribué mes difficultés à répondre à un faible niveau d'anglais. Même si mon anglais était un peu rouillé, il n'était pas la cause de ma sidération. J'étais quasiment en état de choc, j'ai vécu cette situation comme une grande violence, comme une trahison. Comment ce responsable d’Église avait pu me mettre dans une situation pareille ? Puisque c'est lui qui m'avait appelé, comment avait-il pu ne pas défendre ma candidature pour moi ? Comment avait-il pu ne pas dire pourquoi lui m'avait appelée et faire comme si ma candidature était spontanée ? J'ai mis longtemps à prendre du recul, à comprendre que j'avais fait les frais d'une différence de culture ecclésiale.
Notre culture de "non-concurrence" dans notre Église est une chance, elle protège et même donne plus de chance aux gens qui comme moi ont peu confiance en eux, mais cette culture n'est pas partagée dans toutes les Églises, et le choc est d'autant plus rude quand on est confronté à d'autres pratiques, en milieu ecclésial. J'ai mis longtemps à comprendre que celui qui m'avait appelée ne m'avait pas trahie, et qu'il n'avait tout simplement pas vu en quoi sa question pourrait poser problème pour moi. Si j'avais su qu'il allait gérer les choses comme çà, j'aurais simplement retiré ma candidature, mais je n'ai même pas eu cette présence d'esprit...
J'ai encore l'estomac qui se serre à repenser à cet épisode. Mes quatre années passées au sein du comité central m'ont fait découvrir que les milieux d’Église pourraient être des lieux de pouvoir, de conflits d'influence et de violence symbolique assez forte... Dieu merci, je n'ai pas gardé que ces impressions désagréables. Ces quatre années m'ont fait aussi découvrir la profondeur des engagements de certains (individus et collectifs), la force d'action et le poids dans l'espace public de certaines Églises, et il n'est pas étonnant que les logiques de pouvoir à l’œuvre dans ce monde y soient parfois aussi fortes...
J'y ai aussi appris à chercher à comprendre l'autre même quand ce qu'il me disait me dérangeait et à chercher en moi pourquoi ça me dérangeait ; j'y ai appris que ce qui se dit durant les pauses cafés est aussi important que ce qui se dit en séance - au moins pour dépasser les préjugés et les incompréhensions, mais aussi pour négocier un compromis ou établir une alliance. J'y ai découvert des gens passionnés par l'humain, par le service de Dieu dans ce monde. J'y ai découvert que les "grands de ce monde" que j'y croisait étaient des femmes et des hommes comme les autres, avec leurs faiblesses et leurs défauts. J'y ai découvert l'inévitable des préjugés, et le peu d'efforts qu'il faut faire pour les dépasser...
Mais je n'ai jamais oublié cette soirée de "baptême du feu".
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