Dans moins d’un an maintenant, le Grand Kiff réunira les jeunes de notre Eglise et d’Eglise-sœurs du côté de St Malo. Le thème est Et vous, qui dites-vous que je suis ? Je vous propose ici un premier billet en forme de méditation sur ce thème. D’autres devraient suivre…
"Et vous, qui dites-vous que je suis ?" Ça c’est une question qu’elle est bonne !
Jésus est sorti de Jérusalem, de Judée, il est avec ses disciples près de Césarée de Philippe : Césarée de Philippe est un lieu « mixte » on dirait aujourd’hui multiculturel, habité par des juifs, des romains, des gens d’autres peuples présents dans la région. Une vraie mosaïque de cultures, qui doivent vivre ensemble même si leurs modes de vie ne sont pas toujours faciles à concilier…Là, la parole est plus libre, moins contrôlée qu’en territoire judéen, où la fidélité à Dieu et à la tradition est vue comme passant par la préservation d’une forme de « pureté » qui limite le plus possible le contact avec les autres peuples, décrits comme païens. Là, on peut discuter de « qui est Jésus ? » sans risquer d’attirer l’attention des gardiens de la loi et des prêtres…
projections
Jésus commence par collecter les différentes images que l’on projette sur lui : qui dit-on qu’il est ? On dit qu’il est un prophète, ancien ou récent, « revenu » ou « ressuscité »… D’où viennent ces images ? De la tradition religieuse ; ce sont des figures d’autorité, des gens qui ont parlé et agi au nom de Dieu. Bref, on reconnait son aura spirituelle, le fait que Dieu l’ait choisi pour parler en son nom. En tout cas, ce sont les retours positifs que les disciples rapportent à Jésus, ils se gardent bien de faire remonter les critiques…
Question
Puis vient la question centrale : Et vous, qui dites-vous que je suis ? Et la réponse de Pierre : tu es le messie, le Christ, bref, celui que l’on attend non seulement pour parler au nom de Dieu et appeler les êtres humains à changer, mais pour changer les choses, même celles contre lesquelles nous ne pouvons rien, pour ouvrir de nouvelles perspectives là où tout semble bloqué, pour redonner une espérance (Je vous conseille de relire certaines prophéties du livre d’Esaïe, en particulier à partir du chapitre 42, ou le chapitre 37 d’Ezéchiel).
A cette affirmation de foi, Jésus répond par une obligation de silence, et l’annonce de sa mort et de sa résurrection… Pas facile d’être disciple !
Cette question centrale de Jésus renvoie à trois dimensions :
- Une articulation entre ancien et nouveau, entre tradition et interprétation, entre ce que « on » dit, et une parole personnelle
- Un appel à l’interprétation
- L’affirmation d’une identité ouverte, relationnelle et suspendue
Puiser dans la tradition
Ce que les disciples peuvent dire de Jésus, ce que nous pouvons dire de Jésus, s'inscrit dans une histoire, dans une langue, dans un univers de pensée particulier. Les gens utilisent les concepts et les références de leur culture, les images de leur pratique religieuse, les figures de leur histoire pour décrire Jésus. Ils ne peuvent faire autrement, ils ne peuvent que puiser dans cet héritage pour trouver les mots pour parler de Jésus. Les gens, les disciples, nous ne pouvons faire autrement. Même une expression nouvelle fera référence à l'ancien, sinon elle ne serait pas comprise, elle ne serait opérante que pour celui ou celle qu'il l'utiliserait. Pierre parle du Messie, dont parlent aussi les prophètes. Et Pierre, qui formule une parole vraiment personnelle, presque un cri du cœur, le fait en empruntant des mots déjà utilisés par d'autres... il se les approprie, il les réinvente en quelque sorte en les faisant totalement siens.
Proposer une interprétation
Jésus interroge ses disciples sur son identité, non pour ensuite leur donner la bonne réponse, mais parce qu'il faut bien dire quelque chose de lui, même s'il dépassera toujours tout ce qu'on pourrait dire à son propos. C'est vrai de tout être humain. Nous sommes toujours au-delà des étiquettes que l'on nous colle ou de ce que les autres savent de nous... Nous sommes même au delà de ce que nous savons de nous, parfois confrontés à notre propre mystère.
Il faut bien dire quelque chose de Jésus, oser une interprétation, oser un énoncé, proposer une réponse. Celle-ci sera toujours provisoire et imparfaite, toujours marquée par le sceau de notre culture et de notre histoire personnelle. Jésus nous pose une question et nous appelle à devenir témoins, à devenir acteurs de la réponse que nous élaborons, tout en la sachant imparfaite. Et parfois le langage que nous pourrons utiliser pour parler de Jésus ou pour dire Dieu dépassera le langage explicite, écrit ou oral, passera par l'art, la musique ou le graphisme, la couleur ou la forme.... évoquera sans chercher à figer.
Identité ouverte
Jésus ne donne pas de réponse, sauf si l'on considère que la croix et la résurrection sont la réponse... Pour ma part, je crois que c'est un élément essentiel de la réponse, mais pas le tout de la réponse ni même son point final, et qu'une part de l'identité de Jésus, le Christ, nous échappe toujours. Jésus propose à ses disciples une question ouverte, et le relationnel qu'il a avec eux les aide à formuler une réponse, ou tout du moins une esquisse de réponse.
Le philosophe Paul Ricoeur nous rappelle (dans son livre Soi-même comme un autre) qu'une identité ne se construit pas principalement sur des certitudes, qui peuvent toujours être remises en cause, mais sur l'affirmation de soi et "l'attestation", l'assurance de pouvoir demeurer soi-même en toute circonstances. Cette attestation se nourrit du témoignage des autres et elle est basée sur la confiance (en soi et en ses proches, ceux qui témoignent de ce que l'on est). Elle se nourrit également de ce que les autres attendent de nous, des promesses que nous leur avons faites ou celles qu'ils ont décelées en nous (des capacités encore inexploitées, des dons encore en germination, etc.).
Dans le cas de Jésus, le témoignage est important dans sa vie, pour contribuer à sa notoriété et corriger les fausses rumeurs à son propos, mais Jésus ne cherche pas d'abord à se faire connaître. Il cherche à former ses disciples, à renforcer en eux cette capacité à témoigner, à attester de Jésus, pour que les promesses, l'espérance et la confiance qu'il porte en lui continuent à se déployer dans le monde après sa mort, sa résurrection et son ascension.
L'identité de Jésus est aussi suspendue, suspendue par la consigne de silence, suspendue dans l'attente de la passion et de la résurrection. Car une des clefs d'interprétation manque encore, qui ne sera donnée qu'à la fin des évangiles....
Claire Sixt Gateuille
Textes bibliques : Mt 16.13-20, Mc 8. 27-30, Lc 9.18-22
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