vendredi 5 mai 2023

Le consensus en théologie oecuménique

(c) Claire Sixt-Gateuille
Dans le langage courant, lorsqu’on parle de consensus, on parle d’un accord, plus ou moins général, qui peut servir de socle à la vie en commun ou à une élaboration plus particulière (discussion, réflexion, etc.). L’étymologie latine marie le terme de « sensus » : sens, sentiment, manière de penser, de voir, au préfixe « con- » : avec, qui vient du latin « cum » qui implique aussi l’idée d’accompagnement, dans l’espace ou dans le temps. Le consensus consiste à établir ensemble une manière de penser commune…
 
En théologie œcuménique, le consensus est une notion de base, tout en n’ayant pas été vraiment définie par les dialogues œcuméniques qui ont posé les bases des convergences théologiques entre les Églises. Aussi, dans plusieurs articles, André Birmelé s’est efforcé de préciser cette notion essentielle. Dans « Réception, consensus et reconnaissance mutuelle » ((Unité des chrétiens N°79, 1990), il rappelle le point de départ de la recherche de consensus théologique : la volonté d’un certain nombre de chrétiens de retravailler la situation de division des chrétiens par exclusion mutuelle, volonté justifiée par l’appel de Jésus « Que tous soient un » (Jean 17). 
 
Il fait ensuite remarquer que (en tout cas dans le dialogue Église catholique romaine – Fédération luthérienne mondiale) les participants au dialogue s’accordent pour affirmer que le modèle d’unité sur lequel ils s’appuient est un modèle d’unité qui intègre et respecte l’altérité : « Nous avons pu dire ensemble que l’unité des Églises est une unité dans l’altérité, une communion dans une diversité réconciliée, c’est-à-dire que l’altérité de l’autre est non seulement reconnue comme légitime, mais comme richesse pour l’ensemble de la communion. (…) [Il s’agit de] rechercher une communion plurielle qui nous engage les uns envers les autres parce qu’elle communion en Christ. » 
 
Pour avancer vers ce modèle d’unité, A. Birmelé constate que certains dialogues œcuméniques (en particulier celui dont il parle ici entre catholiques romains et luthériens) sont arrivés à un palier : ils ont traité des grands thèmes théologiques et sont arrivés à un certain nombre de consensus dogmatiques. C’est-à-dire que pour chacun de ces thèmes, ils savent ce qui est affirmé en commun, ce qui est dit différemment mais qui se rejoint sur le fond, et ce qui est de l’ordre de la différence fondamentale (c’est-à-dire des choix ecclésiaux différents). 
 
Le défi est aujourd’hui de passer de cet ensemble de consensus thématiques à un consensus d’ensemble. Mais cela est beaucoup plus difficile, car il en va des choix fondamentaux et de la cohérence interne des logiques de chaque Église. François Vouga, dans son livre Querelles fondatrices : Églises des premiers temps et d'aujourd'hui (Labor et Fides, 2003) pointe de façon intéressante quels textes bibliques ont servi de ce que je qualifierais de « clé ecclésiologique » pour telle ou telle Église, de la même façon que le salut par grâce au moyen de la foi est la clé herméneutique du protestantisme. 
 
Si l’on suit cette logique des « clés ecclésiologiques », alors la pluralité des Églises devient légitime puisqu’elle se situe à l’articulation de la diversité des textes bibliques avec la recherche dans chaque Église d’une fidélité et d’une cohérence théologique avec le message biblique. La pluralité n’est plus seulement la condition première du dialogue (accepter l’existence et la légitimité de l’autre y compris dans son altérité est un a priori indispensable) mais un élément clé de la discussion car il en va de l’articulation entre le témoignage biblique et l’Évangile, et donc de l’herméneutique chrétienne dans son ensemble. 
 
(c) Claire Sixt-Gateuille
La question essentielle pour passer d’un ensemble de consensus à un consensus d’ensemble, dit Birmelé, est de préciser ce que l’on entend par consensus dans la perspective de la communion ecclésiale : l’idée n’est pas d’arriver à un hypothétique accord total (auquel cas, on perdrait la richesse de la diversité au sein de la communion), mais de définir ce qui est nécessaire et suffisant comme accord sur la foi. Dans le cadre de la Concorde de Leuenberg, les Églises participantes s’étant accordées sur les principes ecclésiologiques de la Réforme, il était simple de définir « la condition nécessaire et suffisante de la vraie unité de l’Église » (CL 2). C’est plus compliqué dans d’autres dialogues théologiques entre Églises. 
 
Il est donc indispensable de clarifier la notion de consensus, et de définir ce qui est nécessaire et suffisant comme accord dogmatique pour établir le consensus entre Églises. Puisque l’accord ne portera pas sur tout le champ dogmatique, cela implique que la différence fait partie de consensus, et qu’il y aura des différences fondamentales qui ne seront pas exclusives. Dans « Vérité, unité, consensus, différence » (Unité chrétienne N°139, 2000), A. Birmelé précise que la différence fait partie du consensus (différencié). C'est le caractère séparateur de certaines différences qui pose problème. "Ce caractère doit faire l'objet d'une recherche rigoureuse dont la finalité est précisément de surmonter ce caractère séparateur. Le dialogue a atteint son but lorsque la différence est transformée de différence séparatrice en différence légitime. Après cette transformation, la différence qui demeure est "portée" par un consensus fondamental. Elle fait, elle-même, partie de ce consensus." Le devoir œcuménique des chrétiens consiste donc à transformer les différences fondamentales pour leur faire perdre leur caractère séparateur. C’est le défi du passage à un consensus d’ensemble. 
 
En théologie œcuménique, unité et différence ne peuvent pas être pensées l’une sans l’autre. L’unité sans différence serait uniformisation stérile et appauvrissante, la différence sans exigence d’unité établirait un statu quo tout aussi stérile car elle perdrait la capacité de remise en question et de purification qu’offre le regard de l’autre dans la recherche des Églises d’une fidélité renouvelée à l’Évangile. C'est dans ce cadre que se déploie la notion de consensus.

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