vendredi 26 mai 2023

Etudier la compatibilité de doctrines différentes mais voisines

 Après la signature de la Concorde de Leuenberg, les Églises-signataires se sont réunies en 1976 pour envisager la suite, donner forme à cette Communion ecclésiale que leur signature avait accueillie et établie. Cela ne s’est pas fait sans réticence ni méfiance. 

En 1976 se tient donc la première rencontre de représentants des Églises signataires, à Sigtuna, en Suède. La méfiance par rapport à toute idée de centralisation est telle que les participants à cette réunion refusent d’établir une structure officielle pour la Communion ecclésiale de Leuenberg et choisissent de la doter d’une structure organisationnelle à minima : un comité de neuf personnes chargé de coordonner le travail de dialogue théologique mené dans les groupes régionaux (Koordinierungsausschuß) et de préparer une nouvelle assemblée de délégués quelques années plus tard. 

Deux premiers dialogues théologiques sont lancés, l’un sur les questions de ministère et de service de l’Église, l’autre sur l’un des points évoqués par la Concorde de Leuenberg comme lieux de persistance d’une différence doctrinale « non séparatrice » : la mise en dialogue de la doctrine des deux règnes et de la doctrine de la royauté (ou souveraineté, selon les traductions) du Christ. Je me concentre ici sur le deuxième thème car les discussions sur le premier n’aboutiront qu’en 1987.

Ce deuxième thème a été choisi en priorité parce qu’il recouvrait plusieurs thèmes évoqués dans la Concorde de Leuenberg : le deuxième axe de réalisation de la communion ecclésiale (la poursuite du travail théologique), mais aussi le premier axe (témoignage et service). Le rapport de Sigtuna précise que « Il s'agit de développer la contribution spécifique des Églises signataires de la Concorde à la clarification théologique des questions de fond qui se posent dans le domaine "Église et société". » (Ce thème ainsi que celui concernant les rapports « Loi et Évangile » sont mentionnés également par la Concorde, ce qui fait d’une pierre trois coups). C’est un thème au point de rencontre de la dogmatique et de l’éthique fondamentale, puisqu’il aborde les relations entre les Églises et les autorités. En choisissant ce thème, l’assemblée de Sigtuna se donne les moyens d’établir une base théologique à même de soutenir un « service commun » qui concrétiserait la communion ecclésiale de Leuenberg.

La discussion a donc lieu entre 1976 et 1981. A l’époque, la forme des discussions doctrinales n’est pas fixée et celle-ci se tient dans deux groupes régionaux. Le Comité de suivi des dialogues théologiques choisit de transmettre les rapports des deux groupes sans en proposer une synthèse, en respectant ainsi la cohérence interne de chacun des deux documents, et le tout est présenté à l’assemblée de 1981 à Driebergen. 

L’idée de départ était de croiser ces deux doctrines qui fixent les grandes orientations éthiques fondamentales luthérienne et réformée (pour un rappel de ce qu’est la doctrine des deux règnes, voir ce qu'en écrit André Gounelle ici et pour la doctrine de la Royauté de Dieu, on en trouve une interprétation par W.A. Visser’t Hooft ici).

Les conclusions des deux groupes peuvent être résumées ainsi :

  • Il n’y a pas d’incompatibilité entre ces deux doctrines dont les intentions sont analogues ; la persistance des deux ne constitue pas un sujet de division.
  • « La doctrine de la royauté de Jésus et la doctrine des deux modes du règne de Dieu ne constituent pas une spécificité confessionnelle et ne s’excluent pas mutuellement. Bien plutôt, ces deux doctrines servent dans les deux confessions d’orientation dans le domaine des problèmes d’éthique. Aussi ces traditions doctrinales peuvent-elles avoir un impact différent dans les deux confessions. […] Les deux conceptions sont nées à des époques différentes et ont été développées pour dépasser des situations concrètes spécifiques et différentes ». Les mettre en dialogue est important car elles se corrigent mutuellement, les rapports que chacune des doctrines établit entre raison et foi suscitant des partialités différentes.
  • Il n’y a donc pas lieu de chercher à harmoniser les deux doctrines, elles sont porteuses de différences d’optique et d’accentuation quant à l’approche et aux pratiques sociales et politiques des chrétiens, des paroisses et des Églises chrétiennes ; il y a entre elles un rapport critique de complémentarité qu’il convient de maintenir. C’est leur confrontation critique qui permet le discernement fécond et éclairé en matière d’éthique : « Les Consultations ont montré l’importance du dialogue entre représentants des deux conceptions, pour discerner plus nettement la voie de l’obéissance des chrétiens et des Églises aujourd’hui. »    

Les rapports des deux groupes ouvrent les questions du rapport entre Loi et Évangile, de la liberté du chrétien et des médiations nécessaires (car la Bible n’est pas applicable directement ; axes développés par « le groupe d’Amsterdam »), du rôle de la raison dans l’agir chrétien, de la responsabilité (humaine et chrétienne), de la fonction critique des Églises et des changements que la démocratie entraine dans la compréhension de ces deux doctrines (axes développés par le « groupe de Berlin »).

Les résultats de ce dialogue théologique en restent au niveau convictionnel et fondamental, sans faire de propositions concrètes d’(action) éthique commune. L’assemblée de 1981 met alors en place un nouveau dialogue sur « comment confesser sa foi aujourd’hui », nouvelle approche propédeutique à la question d’un témoignage chrétien commun. On peut retrouver l'intégralité du texte du rapport de ce dialogue théologique (comme de nombreux autres) sur la clé USB contenant de nombreux textes œcuméniques éditée par André Birmelé chez Olivétan.

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