jeudi 13 avril 2023

La concorde de Leuenberg : une communion ecclésiale à réaliser

(c) Claire Sixt-Gateuille

Nous sommes depuis 50 ans dans ce processus progressif de réception de cette nouvelle réalité qui consiste à nous reconnaître pleinement en communion ecclésiale avec les autres Églises luthériennes et réformées (et désormais méthodistes) d’Europe. Cette réception se fait principalement à deux niveaux : ad intra, et au niveau inter-ecclésial européen.

Il s’agit ad intra de développer une identité plus ouverte vis-à-vis d’un vocabulaire, de rites et d’habitudes ecclésiales parfois différents, et de cultiver des liens de voisinage et de coopération avec les Églises signataires proches géographiquement. Dans certains lieux, les Églises n’avaient pas attendu la Concorde pour ce faire, mais pour d’autres cette situation était assez nouvelle dans les années 70 et dépasser l’indifférence – voire l’hostilité – représentait et représente toujours un défi. 

Au niveau inter-ecclésial, c’est-à-dire au niveau de la construction de la communion ecclésiale en tant que « être ensemble l’Église du Christ » (selon le texte "Communion ecclésiale" tel qu'adopté à l'assemblée générale de 2018), quatre axes sont mentionnés dans la Concorde de Leuenberg :

  1. Un témoignage et un service communs : Il s’agit de pratiquer en actes ce que l’on prêche en paroles. La justification nous libère et nous engage pour un service commun. L’idée est de prendre, ensemble, nos responsabilités dans ce monde. Ce que pourrait signifier ce témoignage et ce service communs a mis du temps à se dessiner, mais depuis les années 90, la construction européenne au niveau politique a concrétisé un espace où ceux-ci pourraient se déployer.
  2. La poursuite du travail théologique : Le choix de créer une communion ecclésiale et non une grande Église européenne est un choix exigeant. En effet, pour que celle-ci dure et se déploie dans le temps, elle nécessite un entretien perpétuel, un retissage constant des liens entre Églises-membres, un approfondissement continu de la compréhension commune. Basée sur une compréhension commune de l’Évangile, elle doit sans cesse vérifier qu’il n’y a pas de mécompréhension qui pourrait s’installer et se développer dans le temps entre Églises, que les différences existantes gardent leur place dans le cadre plus large du consensus fondamental et que les questionnements ou réticences que certaines Églises ont vis-à-vis des choix d’autres Églises trouvent un espace pour être exprimés et donner lieu à un dialogue fraternel. Aussi les entretiens doctrinaux ne sont pas seulement à la source de la Concorde de Leuenberg, ils en sont aussi une des conséquences perpétuelles. Il faut développer, par les discussions théologiques, une commune orientation pour le témoignage et le service communs (voir axe 1, le texte allemand du pt 37 est plus explicite que la traduction française) ; et la pratique de ceux-ci permettra de vérifier, d’actualiser et d’approfondir cette compréhension commune de l’Évangile à la base de la communion ecclésiale, dans un cercle vertueux. La Concorde liste ici six thèmes à aborder en priorité, tout en ouvrant la porte à d’autres thématiques que la mise en œuvre de la communion ecclésiale ne manquera pas de soulever.
  3. Les conséquences organisationnelles : C’est sur ce point que la Concorde reste le plus prudente. Elle ne se prononce ni sur ce qui doit changer dans les Églises ni entre elles. Elle leur laisse toute latitude pour ce qui est d’adapter leur organisation et leurs pratiques à leur nouvelle appartenance à la communion ecclésiale. Il est seulement dit qu’elles doivent « en tenir compte » dans leurs règlements, constitution, discipline (regelungen), mais le texte précise – preuve que des réticences avaient été exprimées – que la communion de chaire et d’autel et la reconnaissance mutuelle des ministères ne changent rien en matière de recrutement et de pratique du ministère pastoral ni dans l’organisation des Églises.
    Deuxième précaution du texte : la communion ecclésiale ne pousse pas les Églises dans les bras les unes des autres, c’est-à-dire vers une union en termes de structure, et si celle-ci devait advenir, c’est en raison de sa pertinence dans un contexte particulier, parce que la cohérence du témoignage de ces Églises implique cette conséquence en matière d’organisation, et en prenant garde à ne pas perturber la vivante diversité des formes de vie et de témoignage des Églises concernées.  
  4. Les aspects œcuméniques : La communion ecclésiale n’est pas seulement une affirmation ou une forme d’ecclésialité supranationale luthéro-réformée. Elle est un engagement œcuménique, un modèle d’unité proposé par les Églises signataires aux autres Églises. Cette proposition s’adresse d’abord aux autres Églises protestantes (littéralement : « confessionnellement apparentées »), celles d’Europe qui ne l’ont pas encore signée et celles du monde entier, dans le cadre des institutions confessionnelles internationales (Fédération luthérienne mondiale et Alliance réformée mondiale). 
Ce modèle de communion ecclésiale basée sur un consensus fondamental sur une compréhension commune de l’Évangile et sur l’acceptation des différences qui ne contredisent pas celle-ci est aussi une proposition à l’œcuménisme de façon plus large, puisqu’il est en soi un nouveau modèle d’unité, que Harding Meyer qualifiera quelques années plus tard de « modèle d’unité dans la diversité réconciliée ».


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