Temple de Tarbes (c) Y.Borgeaud |
En 1965, Taizé choisit d’entrer, avec l’accueil des jeunes, dans une « dynamique du provisoire ». On pourrait dire qu’en 1973, les Églises signataires de la Concorde de Leuenberg choisissent d’entrer dans une dynamique du perpétuel. Car les relations mutuelles qui ont été établies ou renforcées par les dialogues théologiques préalables à la Condorde ont désormais vocation à être entretenues et même intensifiées.
Le lecteur du texte français peut passer à côté de cette dimension dynamique du texte mais en allemand, les mentions régulières du mot « chemin » (Weg, traduit tout à tour par cheminement, façon, voie en français), de ses dérivés (comme Bewegung, mouvement ou vorwegnehmen, anticiper) et du verbe « conduire » (fahren) donnent un certain élan au texte.
Dialectique du don et de l’appel
Par ailleurs, la dynamique est entretenue par une dialectique entre ce qui est donné et ce qui est à réaliser. Du côté du donné : L’unité est donnée. Elle est donnée en Jésus-Christ, unique fondement de l’Église. Le rapprochement entre les Églises signataires est aussi donné, par Dieu de façon implicite (« reconnaissantes d’avoir été amenées à se rapprocher » en Français) et par l’histoire de façon explicite (points 3-5). Les critères de l’unité de l’Église sur lesquels se fonde la communion ecclésiale sont également donnés (par l’ecclésiologie des réformateurs).
Du côté du « à réaliser », on trouve les quatre axes et toutes les pistes de la quatrième partie.
Ce qui articule les deux dimensions et crée la dynamique de la communion ecclésiale, c’est Jésus-Christ, et plus particulièrement, c’est qu’il soit au fondement de l’Église, qu’il la rassemble et l’envoie. La dimension de rassemblement crée la communion ecclésiale, nourrit les relations entre membres ; la dimension d’envoi la met en mouvement, vers les autres et vers l’avenir. Les deux sont inséparables. L’articulation rassemble-envoie permet à la communion ecclésiale de passer du passif à l’actif, du donné au « à réaliser ». Mais cette dynamique n’est pas temporelle, on n’est pas dans une logique temporelle d’un avant et d’un après, elle est perpétuelle, parce qu’on est dans une logique synchrone du donné et de l’appel, de la grâce et de l’espérance, de la même façon qu’on est à la fois juste et pécheur (simul justus, simul pécator). C’est la dialectique qui crée cette dynamique perpétuelle. La communion ecclésiale implique une ecclésiologie fondamentalement dynamique.
Dialectique de la communion et de la compréhension
La dynamique du texte est également donnée par sa logique interne, qu’une lecture trop rapide pourrait voir comme circulaire, mais qui est en fait une logique "spiralaire", qui mène à l'approfondissement de la communion. En effet, si l’on ne prend pas en compte les dimensions du donné et de l’envoi, on a l’impression que la dialectique entre la compréhension commune de l’Évangile, limitée dans le texte aux aspects essentiels pour la communion ecclésiale, et la communion ecclésiale, basée sur une compréhension commune de l’Évangile, tourne en fait en boucle, s’auto-justifiant et s’auto-limitant.
Or comme le pointe très justement Frédéric Chavel, dans son article « Comprendre et Communier, Leuenberg à réinterpréter » (dans G.Antier (éd), Les Protestants ont-ils le sens de l’Eglise ?, publié par Olivétan en 2021), on ne peut se limiter à ce couple simple « compréhension doctrinale-communion ecclésiale ».
Ce n’est que parce que l’on cherche à recevoir pleinement l’unité donnée, l’unité comme communion (qui accepte la diversité du Christianisme, y compris de ces structures ecclésiales ; F. Chavel parle de « communion comme quête »), que l’on recherche une compréhension commune de l’Évangile. Cette compréhension n’est pas que doctrinale ; le doctrinal est en fait, comme le souligne Chavel, un outil de vérification du lien entre la communion et l’Évangile. Mais la compréhension de l’Évangile est bien plus large. Et c’est parce que l’on choisit de vérifier ensemble ce lien que la communion (en Christ) crée et nourrit la communion ecclésiale. F. Chavel souligne que la communion est source de compréhension au moins autant que l’inverse ; et que la communion ne se limite pas à la communion ecclésiale.