Suite de ma réflexion sur les évolutions en matière de discernement et de formations des prêtres dans l’Église anglicane et les enseignements que l'on pourrait en tirer.
2. Les Églises ont besoin de ministres travaillant en équipe
... et de savoir discerner leurs charismes
Une étude menée à grande échelle dans l’Église anglicane, «
From Anecdote to Evidence », montrait que parmi les facteurs de croissance de l’Église, il y avait la capacité à
travailler en équipe et la capacité à
encourager et valoriser l’engagement dans l’Église et les ministères locaux. La capacité d’
adaptation et l’
ouverture au changement en était une autre. Au contraire, la tendance d’une paroisse à confier toutes les taches et toutes les responsabilités à son pasteur et/ou l’incapacité du pasteur à déléguer étaient des facteurs de déclin (j'ai déjà parlé
ici de cette étude).
Une étude encore plus récente montre que les prêtres d’Églises en croissance avaient 4 « caractéristiques » particulières : ils sont plutôt extravertis, avec une facilité à aller vers les autres ; plutôt « radicaux » dans le sens d’être prêts à changer et à accompagner le changement ; plus confiants en eux-mêmes et moins déstabilisés par les défis à relever ; et surtout, plus « collectivistes », ayant la volonté de travailler en équipe et de valoriser les dons des membres de leur Église. C’est dire si ces dimensions de collégialité et d’encouragement sont essentielles. Cette étude évoquait aussi que les pasteurs qui n’avaient pas ces caractéristiques pouvaient travailler sur leur savoir-être et leur savoir-faire pour développer de nouvelles habitudes de travail plus proches de ces caractéristiques, par exemple dans le cadre de la formation continue.
Par ailleurs, Ric Thorpe, aujourd’hui évêque d’Islington à Londres, a travaillé sur les charismes personnels et les lieux où les différents profils sont les plus adaptés. Il a ainsi analysé que la spontanéité, l’empathie, la polyvalence et la capacité à travailler avec la diversité sont des traits de personnalité plus adaptés aux petites paroisses. Par contre, l’exigence esthétique, la capacité visionnaire, la spécialisation et la capacité d’organisation, de délégation et de management, les profils plus hiérarchiques sont plus adaptés aux grandes paroisses.
Ces réflexions peuvent aider les conseils régionaux, et en particulier les présidents de régions, dans le processus de pourvoi des postes. Ils peuvent aussi nous faire réfléchir sur le type de vie(s) d’Église locale que nous voulons (par exemple dans les grandes villes, voulons-nous quelques grandes paroisses ou beaucoup de petites ?).
3. Les Églises ont besoin de ministres encourageants
… et donc de communautés bienveillantes qui résistent au cléricalisme.
Face à la forte érosion à la foi de la pratique religieuse, l’Église anglicane, a développé l’idée d’une « économie mixte » : l’Église a besoin à la fois de formes traditionnelles d’Église et de formes innovantes, que l’on appelle des « fresh expressions » (FX). Ces FX ont pour but de parler à ceux qui n’ont pas une culture d’Église et leur permettre l’accès à une démarche de type ecclésiale sous des formes renouvelées. Les Fresh expressions sont en fait des communautés dont le fonctionnement communautaire est celui d'une ecclésiole, voire d'une Église locale, tout en gardant une structure institutionnelle rudimentaire, ce qui est rendu possible par la dépendance à une paroisse ou un diocèse existant auquel la FX est rattachée et qui l'accompagne et la soutient.
Dans ce cadre-là, les prêtres anglicans ne sont pas tous appelés à lancer des fresh expressions, mais ils sont tous appelés à encourager, susciter, accompagner ceux qui ont envie d’innover et de créer des fresh expressions. Il est intéressant de voir que ces fresh expressions sont menées majoritairement par des laïcs, dont à peu près la moitié sont bénévoles, l’autre moitié rémunérés pour ces expérimentation de nouvelles formes d’Église (dans des cafés, des écoles, avec des rythmes différents, etc.).
Là encore, une des qualités essentielles du prêtre est d'encourager et de valoriser ces ministères locaux différents, de les mettre en lien, d’assurer accompagnement et formation des personnes engagées, dans leur ministère particulier, et de tisser une vision commune de la mission de l’Église. Mais pour cela, il faut aussi une Église locale qui valorise l’engagement de chacun, les charismes, les ministères locaux, et dans laquelle on ne parte pas du principe que le pasteur peut/doit tout faire « parce qu’il est payé pour ça ».
Les créateurs de Fresh Expressions ou implanteurs d’Église sont également formés « en alternance », sans avoir forcément de projet de ministère personnel. Il y a un processus de discernement en trois temps pour les paroisses qui veulent se lancer dans l’économie mixte : une première formation d’une journée pour toute la paroisse, pour réfléchir ensemble sur la mission de l’Église. Ensuite, six soirées de formation initiale sont organisées pour ceux qui ont une idée, une envie de vivre l’Église autrement et veulent discerner si celle-ci est pertinente et s’ils sont prêts à la porter. Ensuite, une formation « continue » se poursuit pendant la mise en place du projet, à raison d’une rencontre par mois, de reprise, mise en perspective, analyse de la pratique, etc.
Ensuite, les années suivantes, les créateurs de fresh expressions se retrouvent en « cohorte », continuent de se rencontrer après leur année de formation et d’accompagnement au lancement de leur fresh expressions, pour être inscrits dans un réseau de prise de recul et d’analyse de sa pratique, un lieu aussi où l’on s’encourage dans la prière et la bienveillance, où l’on apprend de ses erreurs et de celles des autres, où l’on tâtonne et l’on expérimente ensemble.
10% de fresh expressions ont disparu au bout de 3 ans et 35% vivotent ou stagnent après un départ encourageant ; personne ne voit ces échecs ou ces demi-réussites comme des problèmes, plutôt comme des expérimentations qui n’ont pas abouti et des occasions d’apprendre. L’idée est que l’Église a besoin de différents charismes pour différents types de vie d’Église, et que le prêtre est le liant de la vie paroissiale, celui qui retrace toujours la perspective, la « vision ». Ce statut du prêtre comme liant est anglican (il met le prêtre au centre mais rejoint notre idée du ministère de pasteur comme ministère d’unité).
Et un animateur de fresh expression pourra très bien, après plusieurs années au service de la FX, se sentir appelé – encouragé par ceux qui le soutiennent dans son ministère – à évoluer vers un ministère ordonné…
4. Les Églises ont besoin de faire confiance en Dieu
Comme de nombreuses autres Églises-sœurs, l’Église anglicane insiste sur la prière pour que Dieu donne pour demain les ministres dont l’Église a besoin. Le (futur) pasteur n’est pas le seul qui doit avoir une vie de foi régulière. La prière est la mission de toute la communauté, et une vie de prière est essentielle pour entretenir la confiance et nourrir le regard bienveillant qui faciliteront l’émergence de nouvelles vocations, en particulier de vocations à profil atypique, innovant, plus créatif. La prière est essentielle pour entretenir la confiance en Dieu, renforcer la certitude que « Dieu pourvoit », qu’il a un projet pour notre Église et pour chacun de nos membres. La prière joue ainsi sur le discernement, sur l’appel à la vocation, sur la vision pour l’Église, sur l’accompagnement des communautés locales face au changement, etc.
Claire Sixt Gateuille