Il y a des moments où le temps semble nous filer entre les doigts comme du sable. Les choses à faire s'amoncellent et le courage s'amenuise... J'aurais dû écrire il y a au moins 15 jours un billet sur ce blog, sur l'assemblée générale du Défap, le 21 mars. Mais vous trouverez sur le site du Défap les messages du secrétaire général (ici) et du président (ici). J'aurais dû écrire la semaine dernière sur le colloque de la CEPPLE autour de la communication, qui a lancé un réseau des communicants d'Eglise des pays latins... je le ferai peut-être quand je trouverai plus de temps.
Mais aujourd'hui, j'aimerais vous parler d'une lecture que j'ai faite l'année dernière et qui vient encore me "visiter" quelque fois, comme ce matin sous la douche (c'est en général le moment où je suis le plus créative...) car certaines problématiques que ce livre aborde rejoignent les miennes. Ce livre n'est pas un essai, il n'a rien à voir, à première vue, avec la théologie, c'est un roman. C'est le 6e tome d'une série qui a beaucoup marqué mon adolescence, l'histoire d'Ayla, petite fille homo sapiens élevée par une tribu de Néanderthal et qui va découvrir peu à peu son peuple d'origine, l'amour et différentes cultures, jusqu'à devenir une personnalité marquante de la communauté de son compagnon, Jondalar.
Ce sixième tome, The land of Painted Caves (Le pays des grottes sacrées en Français), de Jean-Marie Auel, n'est pas un monument littéraire. A vrai dire, il fait pâle figure en comparaison des trois premiers tomes. Il se répète, reprend des ressorts narratifs des précédents livres (surtout du 3e) et comporte des longueurs. Pour tout dire, je l'ai apprécié "littérairement" parce que je le lisais en anglais et que les redites m'aidaient à fixer le vocabulaire que je venais d'apprendre... Néanmoins, deux thématiques m'ont fortement marquée dans ce volume, qui en ont rendu la lecture intéressante et enrichissante.
Appartenance ou non à la communauté
La première, c'est la question du racisme, de son origine et de son "évaluation morale", pour reprendre des catégories anglo-saxonnes.
Un des personnages du roman, un homme rustre et peu recommandable, tient des propos racistes à l'encontre de l'héroïne, étrangère accueillie par le peuple de son compagnon et qui a une fâcheuse tendance à réussir tout ce qu'elle entreprend. Les différentes réflexions que comportent le roman sur la place de cette étrangère dans cette communauté, réflexions menées en particulier par la shamane de la communauté, sa "doni", me semblent assez typiques de la mentalité américaine (l'auteur est elle-même américaine) :
La place d'Ayla, étrangère intégrée, dans cette communauté ne tient pas à une fraternité (d'identification à l'autre, car Ayla reste toujours en décalage par rapport aux autres), ni à la charité (elle n'a pas besoin d'être accueillie, elle avait déjà été adoptée par un autre peuple avant), ni à l'enrichissement par l'altérité (j'accueille l'autre car il m'apprend des choses nouvelles), comme nous le voyons en général en Europe.
Sa place est basée sur une sorte "d'éthique de la participation" (est-ce l'équivalent de la "méritocratie" chez nous ?) : cette étrangère a autant, et même plus de "valeur" que cet autochtone car elle apporte plus à la communauté (elle est travailleuse, connait des techniques inconnues par eux et les transmet, elle est généreuse). Ou dit autrement, c'est l'effort de contribution à la communauté qui est le critère moral d'évaluation de la place de tous dans une communauté, étrangers compris. L'idée qu'elle puisse s'épanouir par ce qu'elle fait et ce qu'elle apporte aux autres, et qu'elle soit reconnue pour ça, me semble assez proche de l'idée de vocation que l'on trouve dans l'éthique protestante classique.
La place d'Ayla, étrangère intégrée, dans cette communauté ne tient pas à une fraternité (d'identification à l'autre, car Ayla reste toujours en décalage par rapport aux autres), ni à la charité (elle n'a pas besoin d'être accueillie, elle avait déjà été adoptée par un autre peuple avant), ni à l'enrichissement par l'altérité (j'accueille l'autre car il m'apprend des choses nouvelles), comme nous le voyons en général en Europe.
Sa place est basée sur une sorte "d'éthique de la participation" (est-ce l'équivalent de la "méritocratie" chez nous ?) : cette étrangère a autant, et même plus de "valeur" que cet autochtone car elle apporte plus à la communauté (elle est travailleuse, connait des techniques inconnues par eux et les transmet, elle est généreuse). Ou dit autrement, c'est l'effort de contribution à la communauté qui est le critère moral d'évaluation de la place de tous dans une communauté, étrangers compris. L'idée qu'elle puisse s'épanouir par ce qu'elle fait et ce qu'elle apporte aux autres, et qu'elle soit reconnue pour ça, me semble assez proche de l'idée de vocation que l'on trouve dans l'éthique protestante classique.
Religion
la deuxième thématique longuement abordée, c'est celle de la spiritualité et de son organisation dans la communauté. Le livre raconte l'initiation de l'héroïne pour devenir une "doni", personnage qui tient de la prêtresse et de la guérisseuse. Il parle plusieurs fois du cynisme que montrent certains donis vis-à-vis du mythe sur lequel s'appuient les célébrations de la communauté. L'héroïne fait à la fois preuve d'une réflexion critique et d'un enrichissement du mythe à partir de son expérience, dans une sorte de démarche à la fois historico-critique (elle compare les mythes des différents peuples qu'elle a rencontrés) et existentielle, mais elle montre également un grand respect pour ce mythe, présenté comme l'histoire des origines, de l'apparition de la vie et le garant de sa transmission. La présentation de l'expérience d'Ayla vis-à-vis du mythe pendant son initiation est vraiment intéressante.
Le récit la touche, la renvoie à son expérience et à ses émotions, elle s'identifie fortement à une partie de ce qu'il raconte. Il est pour elle un miroir de l'expérience humaine. Elle ne lui attribue pas de pouvoir magique mais se laisse interpeler et "interpréter" par lui (pour reprendre l'image de la Mimesis développée par Ricoeur). Il vient la rejoindre au cœur de son expérience et de son existence. Ce faisant, il ne construit pas une coquille de certitudes qui garantirait l'ordre du monde ou protègerait ceux qui y croient ; il n'est pas non plus un récit parmi d'autres, sans prise sur l'expérience, un sujet d'étude à tenir à distance ou un "folklore" à maintenir parce que le peuple le réclame, comme semblent le penser les cyniques ; il est comme une colonne vertébrale qui aide Ayla à donner du sens à sa vie, à son parcours, qui l'aide à se relier à l'essentiel et à être en communion avec les autres, même ceux qu'elle n'apprécie pas. Dois-je préciser que si ce personnage revient parfois me visiter, c'est à cause de ma propre mimésis ?
On sent derrière ces mentions des donis cyniques un désarroi qu'a peut-être expérimenté l'auteur face à des pasteurs ou prêtres ayant perdu la foi ou torturés par le doute mais continuant à être en charge d'une communauté (un sondage récent montre que 2% du clergé anglican de l’Église (anglicane) d'Angleterre ne croit plus en Dieu, et 16% sont agnostiques et cela existe dans d'autres Églises). Derrière la réflexion sur le racisme, on voit apparaître les problématiques qui menacent la cohésion sociale aux États-Unis, et la maturité qui transparait dans les longues phases de méditation sur le mythe ou le sens de la vie et la place de l'expérience me semblent correspondre à l'expérience de l'auteur, qui aura mis 31 ans à écrire cette série fleuve. Bref, cette histoire préhistorique parle finalement beaucoup de ce que nous vivons aujourd'hui...
Claire Sixt Gateuille