mercredi 29 mai 2019

Loi et reconnaissance

Matthieu Evangéliste Strasbourg (c) CSG
Deuxième méditation adaptée de l’aumônerie du synode régional 2018, dans la perspective du synode national sur la révision des textes de référence.
"Ne pensez pas que je sois venu supprimer la loi de Moïse et l'enseignement des prophètes. Je ne suis pas venu pour les supprimer mais pour leur donner tout leur sens" Mt 5.17
"Eh bien, moi je vous dis : aimez vos ennemis et priez pour ceux qui vous persécutent." Mt 5.44 

1.    Jésus n’abolit pas la Loi : fidélité à ce qui est donné
Nous, les protestants français, sommes très paradoxaux dans notre rapport à la loi. Quand il s’agit de la loi qui régit l’espace public, les institutions, de la loi républicaine, nous nous comportons comme les bons élèves de la république : c’est ce qui garantit à la fois la liberté individuelle et le vivre ensemble. Mais quand il s’agit de parler de l’aspect plus religieux ou plus moral de la loi, alors nous poussons des cris ! Nous préférons parler de liberté, nous préférons parler de responsabilité, nous préférons parler de « nous tenir devant Dieu (Coram Deo) », de l’autorité des Écritures, mais surtout pas de « loi ».

Même notre constitution, qui n’est rien d’autre qu’une forme de loi interne à notre Église, nous prenons bien soin de la réviser après seulement 6 ans, d'en éliminer contradiction ou raideur institutionnelle, bref de nous appliquer le principe Semper reformanda qui fait de nous, selon les mots du théologien Olivier Abel une "tradition autonettoyante". 

2.    Une autre façon de cheminer
Jésus, lui, n’a pas de mal à se réinscrire dans la perspective de la loi. Il ne se présente pas, en tout cas chez l’évangéliste Matthieu, comme un révolutionnaire ! Il est au contraire dans une fidélité affirmée, il prend les commandements bibliques très au sérieux, trop au sérieux pour les laisser être vitrifiés, figés en une somme d’exigences. Nous avons vu hier que la loi ouvrait un futur, traçait un chemin à parcourir même lorsqu’on se sédentarisait, maintenait une perspective, ouvrait un horizon.

(c) Ze Bible
Jésus ne laisse pas les scribes et les pharisiens confisquer le discours sur la loi, il refuse qu'on doive parcourir le chemin en marchant sur des œufs… Jésus ne supprime pas le chemin, il en fait un terrain de jeu pour les enfants, une piste de danse. Il refuse que la loi soit un chemin de surveillance mutuelle ou de compétition ; il en fait un chemin de progression, d’édification – Calvin dira « de sanctification » - d’attention mutuelle, de bienveillance et de confiance !

3.    L’Église comme bateau
Le Sermon sur la Montagne, dont fait partie ce texte biblique, est un très beau texte, qui rencontre notre aspiration à nous élever, à faire le bien, à nous améliorer. Ne laissons pas tomber cette aspiration sous prétexte que nous ne voulons plus parler de « Loi » ! Mais comme Jésus, réorientons cette aspiration, pour la libérer de la configuration marketing « développement personnel » et la laisser s'épanouir à l'éclairage de la grâce de Dieu, de l'amour gratuit de Dieu pour chacun. Le Sermon sur la Montagne commence par les Béatitudes et par les paraboles du sel et de la lumière. Les béatitudes remettent au centre la vie relationnelle : pleurer, être doux, avoir faim et soif de justice, et même être persécuté pour elle, faire la paix, faire preuve de miséricorde, avoir le même esprit que les « petits » ; et le sel et la lumière sont là non pour eux mais pour les autres, leur redonner goût, les éclairer. Et ils sont là parce que quelqu'un les a mis dans le plat, les a allumés, a vu leur valeur et a su les utiliser à bon escient. Ils donnent leur plein potentiel quand ils sont à leur juste place. Le sermon sur la montagne ne parle pas de "savoir-faire", mais de juste place et de reconnaissance, d'où pourra s'épanouir un "savoir-être". Tout le sermon sur la Montagne n’est pas une couche de commandements supplémentaire, encore plus exigeante, mais la réinterprétation de la Loi, pour la recentrer sur le relationnel (à Dieu et aux autres) et la reconnaissance. La présentation de Jésus comme celui qui accomplit la loi ne vient qu’après, elle peut poser le cadre, parce que la perspective a déjà été donnée.

Cathédrale Strasbourg (c) CSG
En fait, c’est un peu comme dans un bateau : Si vous mettez des gens dans un bateau sans leur dire où il va, ils vont rapidement se sentir comme des poissons dans un bocal trop étroit : la mutinerie arrivera vite, à moins que ce ne soit le chavirage, car ils ne seront pas arrivés à se mettre d’accord sur le cap à tenir. Mais donnez-leur une destination, un horizon, un cap à tenir, et avec un peu d’organisation sociale et de reconnaissance, ils se répartiront les taches, s’entraideront et se relaieront pour remplir la mission qui leur a été confiée et arriver à destination.

Jésus nous donne le point de départ : l’attention relationnelle. Il nous donne le cadre, qu’il réinterprète pour y introduire la grâce et la reconnaissance. Et il nous donne la destination : le Royaume. A nous de trouver notre place dans le navire, A nous, collectivement, de garder toujours la destination en tête !

Claire Sixt Gateuille

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