A deux jours du synode national 2019 de l'EPUdF, je partage avec vous une méditation adaptée de l’aumônerie du synode régional Sud-Ouest, que j'ai assurée en novembre dernier, et qui portait justement sur les "textes de référence" dans la Bible. D'autres sont à venir d'ici jeudi.
"Moïse dit : Voici les commandements, les lois et les règles que le Seigneur votre Dieu m'a ordonné de vous enseigner. Il veut que vous leur obéissiez dans le pays que vous allez bientôt posséder." Deut 6.1"Les commandements que je te donne aujourd'hui resteront dans ton cœur." Deut 6.6
1. Une loi au futur
Le chat du Rabbin T8, de Joann Sfar |
La loi donnée par Dieu à Moïse est formulée à l'inaccompli en hébreu, c'est-à-dire (pour simplifier) au futur. Elle est au futur parce qu’elle est d’abord une promesse. Elle est le signe que ce peuple appartient à Dieu, et donc que Dieu se tient à leurs côtés. Si on oublie ça, si on oublie la promesse et la présence de Dieu, alors la loi, la Torah, est juste un truc de fou ! Je ne veux pas « spoiler » le Tome 8 du chat du Rabbin pour ceux qui ne l’auraient pas encore lu, mais le jeune rabbin, le mari de Slabya, dit quand même à quelqu’un qui veut se convertir au judaïsme : « Moi je suis né dedans, donc je suis bien obligé [d’avoir une religion aussi contraignante]. Tout mon imaginaire baigne là-dedans. Mais enfin, j’ai du mal à concevoir qu’on être équilibré ait spontanément envie de s’infliger tout çà » ! Pour qu’il y ait appel, il faut qu’il y ait élection. Si Dieu demande ça au peuple, c’est parce qu’il l’a choisi. La loi, c’est le revers de la médaille de l’élection et de la terre promise…
Elle est au futur, parce qu’elle ouvre un avenir, elle est un choix de vie. Elle est même un chemin de vie : « allez dans les chemins de Dieu » (Deut 30.16). Elle n’est donc pas un cadre rigide mais un cheminement balisé.
2. Réinterprétations
La loi est au futur, enfin, parce qu’on ne connait pas l’avenir, et qu’il faudra donc la réinterpréter, la reformuler pour retravailler notre fidélité à Dieu et à ses commandements. Il y a déjà eu la loi de l’Exode, avec la première version des 10 commandements, puis la loi du Lévitique, celle qui est tellement détaillée qu’on a l’impression de couper les cheveux en quatre - celle qui sature l’esprit pour ne pas trop penser qu’on tourne en rond dans le désert et que ça va durer toute une génération - et puis il y a cette troisième version, celle de Deutéronome, qui est formulée pour rentrer dans le pays promis. Elle est formulée pour que le peuple ne s'installe pas dans l'immobilisme mais continue d’arpenter les chemins de Dieu. A chaque contexte, sa formulation de la loi.
Un peu comme notre travail sur les textes de référence… il faut le faire parce que le contexte a changé : en 6 ans, le fonctionnement commun entre réformés et luthériens est devenu réalité, avec ses frottements et ses richesses, avec désormais une région unie. Il nous faut « boucler la boucle » institutionnelle, ajuster notre règle de fonctionnement à nos pratiques, vérifier les bases organisationnelles qui nous permettrons ensuite d'ajuster nos « cultures ecclésiales », nos présupposés inconscients, notre compréhension de ce qu'est l’Église et des dynamiques qui y sont à l’œuvre, pour que chacun s'y sente à l'aise et y fasse place à l'autre - processus qui prendra, lui, au moins une génération.
3. Un chemin de vie commun
On se sent souvent tellement bien dans sa tradition ecclésiale qu’on en arrive parfois à l’ériger en tour d’ivoire, à l’investir comme une maison, à s’y sédentariser. Mais l’Union des Luthériens et des réformés en France, c’est une façon de nous rappeler que notre cadre sécurisant ne doit pas rester un cadre, mais devenir un chemin, qui nous mène vers les autres, de l'autre confession, et plus loin les autres croyants ou non-croyants.
La constitution (et autres textes de référence) que nous sommes en train de réviser est l’ossature institutionnelle de notre Église EPUdF ; mais elle n’est pas un cadre, tout au plus la charpente d’un abri pour la nuit…La loi de Dieu non plus n’est pas un cadre enfermant. Elle est d’abord un chemin, avec des carrefours où choisir entre des options qui donnent la vie et des options qui peuvent être mortifères. Elle est reformulée en Deutéronome pour que le Peuple ne s’installe pas dans une possession qui exclue. Elle est un chemin dans un monde qui change, pour des gens et des groupes qui changent aussi, qu’ils le veuillent ou non.
(c) Jean-François Kieffer |
Notre Église, en tant que groupe humain, change aussi. Nous sommes une communauté d’individus pas toujours très disciplinés, lancée un chemin exigeant, sur lequel on trébuche parfois, mais qui maintient une perspective ouverte, qui trace un horizon. Un chemin qui est une promesse d’avenir, même si nous-mêmes n’entrerons pas forcément dans la terre promise et que dans certaines communautés locales, notre cheminement d’Église ressemble plus à une longue traversée du désert.
Nous pensons souvent à l’Église comme à « notre pauvrète Église » pour reprendre l’expression de Calvin. Mais plutôt que de nous lamenter, replongeons-nous dans la Bible pour nous rappeler de toutes les promesses de Dieu. Plutôt que de nous laisser décourager, rappelons-nous qu’à chaque demande, à chaque appel de Dieu correspond un don, une promesse, et remémorons-les.
Parfois, Dieu nous donne même des rêves pour notre Église… que son Esprit nous inspire et nous pousse, nous pousse aussi au changement, à la réinterprétation quand c’est nécessaire. Et n’oublions pas ce conseil attribué à Oscar Wilde : « Ayez des rêves assez grands pour ne jamais les perdre de vue ».
Claire Sixt Gateuille
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